Une fausse bonne idée : la compétition entre les hôpitaux

Entrevue avec Anne Plourde, chercheuse en science politique à l’Université York et à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, sur un mode de financement à la mode qui vise à augmenter la cadence de travail dans les hôpitaux.

Un spectre hante le système de santé du Québec, le spectre du « financement à l’activité ». Ce modèle consiste à donner de l’argent aux hôpitaux selon leur volume d’activité, dans le but d’encourager la compétition et la productivité. Le projet de refondation du système de santé du ministre Christian Dubé veut que « l’argent suive le patient ». Même son de cloche du côté du Parti conservateur du Québec, qui déclare dans sa plateforme électorale qu’avec ce mode de financement, « le patient devient […] une source de revenus pour les hôpitaux et non une source de dépenses ».

Qu’en est-il réellement? Pour saisir les enjeux entourant la façon dont l’État finance le système de santé, Pivot s’est entretenu avec Anne Plourde, chercheuse en science politique et auteure du livre Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé, paru chez Écosociété.

Pivot : La CAQ et le PCQ veulent introduire le financement à l’activité. Comment peut-on définir ce modèle?

Anne Plourde : Le financement à l’activité (FAA) s’oppose au financement « historique ». Actuellement, on donne aux hôpitaux un budget basé sur ce qu’ils ont reçu l’année précédente, avec certaines augmentations pour tenir compte de l’augmentation de certains coûts, comme l’inflation ou l’augmentation des salaires, par exemple. Là, ce qu’on propose plutôt de faire, c’est de financer les hôpitaux au volume de service qu’ils rendent.

Le parallèle le plus simple à faire, c’est celui avec le paiement à l’acte des médecins. Les médecins, en ce moment, sont payés pour chaque acte qu’ils vont poser. On veut en quelque sorte prendre ce mode de rémunération là et l’appliquer aux hôpitaux. On veut commencer à financer les hôpitaux en fonction du nombre et du type d’interventions qu’ils font. Pour chaque service rendu, les hôpitaux vont recevoir un certain montant.

On veut donc que les hôpitaux soient en compétition les uns avec les autres, pour attirer les patient·es, c’est bien ça?

Anne Plourde : Cette logique dit que, vu que les hôpitaux vont recevoir plus d’argent en donnant plus de services, ils vont avoir un intérêt à offrir davantage de services et à augmenter la productivité. Et évidemment, ils vont avoir intérêt à attirer les patients vers eux, plutôt que de les laisser aller vers d’autres hôpitaux. C’est là que l’on voit la logique de compétitivité embarquer. Mais l’argument de base, c’est que cela va augmenter la productivité et le volume de services.

Le FAA a été essayé ailleurs. Qu’est-ce qu’on en sait? Est-ce que ça fonctionne?

Anne Plourde : En fait… non. Premièrement, ça veut régler un problème qui n’est pas le véritable problème qu’on rencontre dans notre système de santé. Le problème dans les hôpitaux et dans le système de santé en général, ce n’est pas un problème de productivité. C’est avant tout un problème de ressources.

Le problème dans les hôpitaux et dans le système de santé en général, ce n’est pas un problème de productivité. C’est avant tout un problème de ressources.

Si le système de santé est incapable de répondre aux besoins de la population, c’est parce qu’il y a insuffisamment de ressources financières qui sont investies. À cause de cette insuffisance, des modes de gestion autoritaires, très managériaux, sont imposés depuis des décennies. On se retrouve avec une dégradation des conditions de travail qui va provoquer ensuite une pénurie de personnel à laquelle on est confrontés depuis quelques années. 

C’est principalement ça le gros du problème et c’est artificiellement provoqué par les choix politiques qui ont été faits par les gouvernements précédents.

En introduisant le financement à l’activité, on risque d’empirer le problème parce qu’en voulant augmenter la productivité, ce qu’on veut faire, c’est augmenter la cadence. Et ça, ça va encore augmenter la pression sur les employés, sur les personnes qui donnent ces services-là. On risque de dégrader encore plus les conditions de travail et d’empirer le problème de pénurie de personnel. 

Et ça, ça va encore augmenter la pression sur les employés, sur les personnes qui donnent ces services-là. On risque de dégrader encore plus les conditions de travail et d’empirer le problème de pénurie de personnel. 

Mais est-ce que cela va augmenter ou améliorer les services offerts?

Anne Plourde : Il n’y a aucune garantie de l’augmentation des services. On peut très bien se retrouver dans une situation où on voit une augmentation des coûts, mais sans voir d’augmentation du volume des services. C’est qu’il peut y avoir un intérêt pour les hôpitaux à faire des manœuvres pour déclarer certaines interventions plus complexes, parce qu’on sait que si l’on donne tel code à telle intervention, on va avoir un financement plus grand que tel autre code.

Le parallèle avec la rémunération à l’acte des médecins est très bon, parce qu’on sait que ce mode de rémunération provoque une grande augmentation des coûts des services, mais pas nécessairement du nombre d’actes.

Il y a aussi une augmentation du surdiagnostic et du surtraitement lié à ça. On va poser des actes médicaux parce qu’on est incité financièrement à le faire, mais pas nécessairement parce que c’est médicalement requis. Quand on parle de surmédicalisation associée à ce type de financement, on ne peut pas parler d’amélioration des services, au contraire.

Est-ce que le FAA est compatible avec la volonté de diminuer la bureaucratie?

Anne Plourde : Non, pas du tout. En fait, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Le financement à l’activité, c’est extrêmement complexe à mettre en place, parce que cela implique d’accoler un prix à chaque intervention, chaque acte qui est posé dans les hôpitaux. Donc, ça veut dire une bureaucratie, ça veut dire de la paperasse. Ça veut dire des gens qui vont être spécialisés pour tout d’abord élaborer les prix qui sont associés à chaque activité, mais ensuite, ça prend des gens pour gérer les réclamations.  

Le financement à l’activité, c’est extrêmement complexe à mettre en place, parce que cela implique d’accoler un prix à chaque intervention, chaque acte qui est posé dans les hôpitaux. Donc, ça veut dire une bureaucratie, ça veut dire de la paperasse.

Dans certains pays [où le FAA a été introduit], ça veut dire l’apparition d’une nouvelle catégorie de bureaucrates qu’on appelle des codeurs ou des codeuses, qui sont spécialisé·es dans la facturation des interventions.

Si cela ne diminue pas nécessairement les coûts et que cela augmente la bureaucratie, quel est l’intérêt de promouvoir le FAA?

Anne Plourde : Ce qu’on sait, c’est que ce mode de financement des hôpitaux faciliterait une privatisation des services parce que c’est plus facile de sous-traiter ou privatiser certaines interventions si on connaît déjà le prix de chacune. C’est aussi un mode de fonctionnement qui est beaucoup plus proche de celui de l’entreprise privée.

Le mot de la fin?

Anne Plourde : Je disais que le FAA se rapprochait de la rémunération à l’acte des médecins. C’est justement un mode de rémunération qu’on cherche à abolir. La plupart des gouvernements remettent en question ce mode de rémunération, y compris la CAQ. Et là, ce qu’on veut, c’est appliquer ce mode de rémunération aux hôpitaux. Il faudrait peut-être apprendre de nos erreurs plutôt que de les reproduire à grande échelle.

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