Les infirmières en néonatalogie du CISSS de Laval ont eu gain de cause devant le Tribunal d’arbitrage mardi dernier : le recours systématique au « temps supplémentaire obligatoire » (TSO) pour suppléer au manque de personnel depuis trois ans a été décrit comme un « exercice déraisonnable des droits de la direction ».

Le CISSS de Laval a été reconnu coupable d’un recours abusif et systématique au TSO dans son unité de néonatalité, dans un jugement l’opposant au Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (SIIIAL-CSQ) rendu le 26 juillet par le Tribunal d’arbitrage.

« Le recours soutenu et chronique aux heures supplémentaires sur une base non volontaire – pour remédier à ce qui est en fait une pénurie de personnel – n’est pas conforme à la convention collective et constitue un exercice déraisonnable des droits de direction », a écrit l’arbitre, MJulie Blouin.

Pour cette unité de 20 lits accueillant des bébés nés prématurément, les infirmières ont effectué 693,70 heures supplémentaires obligatoires en 2019, 383,71 en 2020 et 979,81 en 2021. « Force est de constater que leur utilisation augmente », précise le jugement.

Or, des quarts de travail ne sont pas comblés dès l’affichage de l’horaire des infirmières, a conclu le Tribunal. Des postes demeurent vacants pendant des mois, notamment en raison des départs et congés de longue durée (comme des congés de maternité).

​​Le Tribunal est d’avis que le recours aux heures supplémentaires obligatoires n’est plus, comme l’employeur le prétend, un mécanisme exceptionnel.

Me Julie Blouin

« Ce qui pose problème, c’est l’imposition des heures supplémentaires obligatoires par l’employeur afin de compenser ses manques récurrents de personnel dus aux problèmes de recrutement et de rétention », poursuit cette dernière.

Une façon de procéder qui fait reposer « la majorité des inconvénients sur les salariés », conclut le Tribunal.

Le CISSS de Laval « a pris connaissance de la décision rendue la semaine dernière » et maintient ne pas avoir un « recours systématique au TSO, sauf pour assurer le maintien sécuritaire des services à la population pour éviter le bris de service », a indiqué par courriel à La Presse Marie-Ève Despatie-Gagnon, conseillère en communication pour le CISSS.

Des infirmières à bout de souffle

Quand une infirmière se fait imposer un quart de travail obligatoire, elle travaille plus de 16 heures d’affilée, souvent avec des bébés prématurés ou instables, souligne le jugement. Épuisées, elles vont souvent manquer le travail le lendemain, ce qui crée un effet « domino ».

« L’ensemble des infirmières ayant témoigné expliquent que les heures supplémentaires obligatoires provoquent chez elles de la fatigue, des problèmes de concentration, des maux de tête, de l’irritabilité et du stress, écrit MBlouin. Certaines déclarent même s’être endormies en voiture lors du retour à la maison. »

De garder en otage des travailleurs, ça augmente les risques psychosociaux.

Déreck Cyr, président du syndicat SIIIAL-CSQ

En vertu du jugement, le Syndicat envisage d’aller même de réclamer des dommages à au CISSS de Laval, affirme M. Cyr.

Avoir assez de main-d’œuvre : la responsabilité de l’employeur

Le jugement tranche également concernant la responsabilité de l’employeur d’avoir suffisamment de personnel pour les services qu’il offre à la population.

​L’employeur continue de vouloir offrir des services en néonatalogie sans se demander s’il a toujours le moyen de ses ambitions. En effet, l’établissement choisit les services qu’il offre, et rappelons que ce choix doit tenir compte des ressources. Que ferait-il dans l’éventualité où il n’y aurait plus aucune infirmière pour travailler en néonatalogie sur une base volontaire ?

Me Julie Blouin

Selon Déreck Cyr, le CISSS de Laval fait face à un exode de son personnel en raison du manque d’attraction de ses postes.

« Entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2022, il y a eu 824 départs, soit des départs à la retraite ou des démissions du CISSS de Laval, indique M. Cyr. Et ce qu’on entend, c’est que de plus en plus de gens quittent en disant que “si on va à Saint-Eustache, ils vont me donner un poste pur”. »

Des solutions possibles, selon le syndicat

Le Syndicat souhaite que le CISSS de Laval affiche des postes « de jour, de soir ou de nuit », et qui respecte les spécialisations et intérêts des infirmières. Des demandes qui sont restées sans suite. « ​​Ce n’est pas comme ça qu’on fait de la rétention, renchérit M. Cyr. Si on veut garder nos membres à Laval, il faut afficher des postes qui sont attrayants. »

La position du SIIIAL-CSQ a été reconnue comme crédible par le Tribunal, qui spécifie que « ​le syndicat, qui avait le fardeau de preuve, a réussi à établir que d’autres voies pourraient être explorées afin d’éviter le recours à autant d’heures supplémentaires obligatoires. »