Sondage

Les travailleurs d’agences peu tentés par un retour dans le public

Québec — Le gouvernement Legault aura fort à faire s’il veut convaincre les travailleurs d’agences de placement de retourner dans le réseau public de la santé. Un sondage réalisé auprès de plus de 2000 employés du privé en santé révèle le peu d’intérêt à retourner dans le public d’ici leur retraite.

Le plus important regroupement d’agences de placement donne un nouvel éclairage sur les intentions professionnelles de leurs employés au moment même où le ministre Christian Dubé doit déposer ce mercredi un projet de loi pour limiter le recours aux agences dans le secteur public.

Mardi, le ministre de la Santé a fait valoir qu’il souhaite opérer « un changement de culture » et qu’une meilleure utilisation des ressources du réseau public est « un élément-clé » de son Plan santé.

Québec ne cache pas qu’il aspire à sevrer le réseau de la santé des agences privées, dont le recours continue d’augmenter. Mardi, la FTQ a révélé que l’État québécois avait dépensé près de 3 milliards de 2016 à 2022 pour l’embauche de la main-d’œuvre indépendante.

Le regroupement Entreprises privées de personnel soignant du Québec (EPPSQ) a sondé les employés de ses membres du 7 au 13 février pour leur donner la parole dans le contexte où le discours ambiant sur l’avenir des agences « n’a pas de nuance », déplore le président, Patrice Lapointe.

« Ces gens-là sont dans une posture où on leur dit qu’on va abolir leur employeur actuel […] et que tout ce monde-là va revenir de bon cœur dans un réseau de la santé qu’ils ont connu et qu’ils ont quitté pour toutes sortes de raisons qui sont aussi variées que valables », déplore-t-il.

Le coup de sonde révèle en effet que pour 8 travailleurs de la santé sur 10 (81 %), il est « peu probable » de retourner au public d’ici la retraite. Ce taux atteint 84 % pour les infirmières et même 90 % pour les infirmières auxiliaires, selon le sondage.

L’exercice démontre également que 70 % des employés sondés « auraient probablement réorienté leur carrière dans un autre domaine au lieu de rester dans le réseau public » si les agences privées de main-d’œuvre « n’existaient pas ». Ce taux grimpe à 78 % chez les infirmières auxiliaires.

Meilleures conditions de travail

Sans surprise, les travailleurs de la santé qui ont déserté le réseau public ont été motivés par de meilleures conditions de travail au privé. Faire du secteur public « un employeur de choix » est d’ailleurs le cheval de bataille du ministre Christian Dubé.

Des employés d’agence sondés, 72 % ont dit avoir quitté le public pour « décider du nombre d’heures » travaillées par semaine, pour avoir un « meilleur contrôle » de leur horaire (70 %), pour un salaire plus avantageux (71 %) et pour une meilleure conciliation travail-famille (68 %).

« Bien que beaucoup de gens cherchent encore la sécurité d’emploi, l’autonomie professionnelle et la liberté sont des valeurs qui ont pris beaucoup d’importance et tant qu’on ne reverra pas l’organisation du travail dans le réseau, on va être confronté au même défi », souligne M. Lapointe, dont l’association se dit favorable à un meilleur encadrement de leur industrie.

Fait à noter : la moitié (48 %) du personnel sondé affirme n’avoir fait aucun « temps supplémentaire obligatoire » (TSO) dans la dernière année.

Le gouvernement Legault cherche à légiférer pour serrer la vis aux agences et justement mettre un frein à l’exode des travailleurs.

Mardi, M. Dubé a laissé savoir que son projet de loi viendrait notamment mettre un terme à l’utilisation « des gens de l’externe [pour combler] des horaires favorables ». Une directive en ce sens est déjà en vigueur, mais ne serait pas toujours appliquée à travers le réseau. « Il va y avoir des raisons encore plus importantes pour suivre les nouvelles politiques », a précisé le ministre Dubé.

Au Salon bleu, il a également rappelé l’importance de trouver le bon « équilibre » pour réduire le recours aux agences sans mettre de pression sur le personnel en place. M. Dubé a aussi déjà précisé dans le passé que des cibles pourraient être fixées selon le territoire, en raison de la forte dépendance de certaines régions comme l’Abitibi-Témiscamingue ou la Côte-Nord.

La tâche ne sera pas mince. Québec a lancé en décembre dernier un appel d’offres – qui a été suspendu depuis – pour 8 millions d’heures de travail à effectuer par de la main-d’œuvre indépendante dans l’ensemble des établissements de santé de la province.

L’enjeu fait largement consensus à l’Assemblée nationale. Québec solidaire et le Parti québécois ont fait valoir mardi que le gouvernement Legault a déjà « perdu assez de temps » avant de s’attaquer à la situation décriée depuis plusieurs années. Ils réclament que le réseau se donne un échéancier clair pour se sevrer totalement des agences.

Seul le Parti libéral du Québec était plus nuancé mardi, affirmant vouloir « faire une réflexion » pour déterminer « quelle est la place des agences » dans le réseau public de la santé.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.