(Québec) Le chien de garde de la protection des renseignements personnels estime que le projet de loi du ministre Éric Caire sur l’accès aux données en santé va trop loin. Selon la présidente de la Commission d’accès à l’information (CAI), la pièce législative « porte atteinte au droit au respect de la vie privée et du secret professionnel ».

MDiane Poitras est préoccupée par l’absence de balises suffisantes pour assurer la protection des renseignements personnels des patients dans la version actuelle du projet de loi 3, qui vise à accroître l’accès aux données dans le secteur de la santé. La présidente de la CAI a d’ailleurs soumis une longue liste de 21 recommandations pour « bonifier » le projet de loi et en limiter sa portée.

La CAI estime que « sur l’échelle de la confidentialité et des exceptions », la pièce législative « place parfois le curseur beaucoup trop loin en faveur d’une utilisation et d’une circulation maximales des renseignements » au sein du réseau de la santé, mais aussi à l’extérieur. Un nombre trop élevé « d’intervenants » pourraient avoir accès aux renseignements d’un patient, selon la forme actuelle du texte, selon MPoitras.

Il faut absolument un meilleur encadrement de cet accès, a-t-elle plaidé jeudi en commission parlementaire. « Ce n’est pas parce que j’accepte de me confier à mon professionnel que j’accepte implicitement que tout autre intervenant du réseau puisse avoir accès à ces informations », a illustré MPoitras.

Selon la CAI, le projet de loi vise à permettre une plus grande circulation des renseignements, sans le consentement manifeste du patient. « [Le projet de loi] porte ainsi atteinte au droit au respect de la vie privée et du secret professionnel », écrit la commission dans son mémoire.

La veille, c’est la Fédération des médecins spécialistes du Québec qui s’inquiétait des effets sur le secret professionnel et de la possible « détérioration » de la relation médecin-patient1.

Le ministre Éric Caire a rappelé à MPoitras que les « intervenants » qualifiés sont essentiellement des membres d’ordres professionnels ou membres du personnel soignant. Reste que selon l’article 36 du projet de loi, le gouvernement pourrait procéder par règlement pour autoriser quelqu’un « qui n’est pas un professionnel au sens du Code des professions ».

Un patient pourrait aussi révoquer son consentement, selon la pièce législative.

Les explications du ministre n’ont pas rassuré la présidente de la CAI, qui a par ailleurs fait valoir que « la marge laissée aux règlements » est trop large et ne « devrait pas servir à établir des règles de droit ou des exceptions aux droits fondamentaux ».

La CAI, qui est l’organisme qui aura le mandat de surveiller l’application de la future loi, a aussi fait valoir que ses ressources actuelles sont insuffisantes. « On est au cœur d’une réforme qui requiert beaucoup de ressources et d’énergie avec la loi 25 [sur les renseignements personnels dans le secteur privé] et mettre une nouvelle réforme, c’est préoccupant », a affirmé MPoitras.

C’est quelque chose qui va devoir être étudié quand va venir le temps d’évaluer le budget de la Commission.

MDiane Poitras, présidente de la Commission d’accès à l’information

Les ordres professionnels inquiets

Les ordres professionnels sont aussi inquiets des effets de la future loi sur le secret professionnel. Dans une lettre adressée aux membres de la commission parlementaire, le Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ), qui regroupe les 46 ordres professionnels, déplore ne pas avoir été invité aux consultations.

« On est favorable à l’esprit du projet de loi, on pense que c’est nécessaire d’encadrer les renseignements sur la santé et les services sociaux, mais ça déborde de ça, là on touche au secret professionnel et c’est un droit fondamental qui est protégé par la Charte des droits et libertés », explique le vice-président du CIQ, Donald Barabé.

On cite l’article 68 qui stipule qu’un organisme peut « communiquer un renseignement qu’il détient au Directeur des poursuites criminelles et pénales […] lorsque le renseignement est nécessaire aux fins d’une poursuite pour une infraction à une loi applicable au Québec ».

Lors de la présentation du projet de loi en décembre, les autorités gouvernementales avaient expliqué que la pièce législative permettrait la communication de certains renseignements personnels, dans des cas bien précis, aux autorités policières. Mais le libellé de l’article 68 « est beaucoup trop large », estime M. Barabé qui dit craindre, comme la FMSQ et le Collège des médecins, un effet négatif sur la relation médecin-patient.

Les consultations sur le projet de loi 3 – la nouvelle mouture du projet de loi 19 qui était piloté lors de la dernière législature par le ministre de la Santé, Christian Dubé – reprennent la semaine prochaine.

1. Lisez l’article « Crainte de la “détérioration” de la relation médecin-patient »