Les services à domicile: plus qu’une affaire de cœur, c’est une question de droit !

Des citoyennes et des citoyens dont les services sont lourdement rationnés et des proches aidants dont on a hypothéqué la vie sociale et économique pour pallier l’insuffisance de services  joignent leur voix à la Coalition Solidarité Santé pour réclamer des investissements massifs dans les services à domicile publics à la faveur du prochain budget provincial. Ceux et celles qui sont directement touchés par la rareté des services désirent ainsi faire connaître haut et fort leur insatisfaction quant aux réalisations et aux intentions gouvernementales dans ce dossier.

Rappelons que le 20 janvier dernier, les chefs syndicaux et la Coalition Solidarité Santé réclamaient à l’unisson des investissements de 300 millions d’argent frais dans les services publics à domicile et ce, dès le premier avril prochain. La réponse gouvernementale fut en deçà de toutes les attentes,  précise Marie Pelchat, porte-parole de la Coalition Solidarité Santé. Il est indécent que le gouvernement annonce qu’on «pourrait en venir à cela sur un certain nombre d’années» alors que la situation des personnes concernées et de leurs proches se précarise sans cesse, se précarise à un point tel que le Vérificateur général du Québec a cru nécessaire de dénoncer vertement la situation en décembre dernier. Les membres du Comité de priorités du gouvernement  seraient-ils les seuls à ne pas se rendre compte de l’urgence, questionnent les porte-parole présentes aujourd’hui.
 
Jeannette, atteinte d’arthrite rhumatoïde et d’arthrose sévères

Jeannette, 69 ans, est veuve et vit seule dans un 2 1/2 dans le nord de Montréal. Elle   reçoit des services à domicile depuis 17 ans. Elle est atteinte d’arthrite rhumatoïde et d’arthrose sévères, ce qui l’empêche de faire des gestes aussi quotidiens que faire l’épicerie, cuisiner, faire son lit, sa lessive, ouvrir un pot, descendre une assiette de l’armoire, s’essuyer après avoir pris une douche, se mettre de la crème, mettre ses bas ou son manteau. Comme elle se déplace difficilement, elle utilise une canne. Ces limites ne l’empêchent toutefois pas d’avoir encore une vie sociale, de recevoir des amis pour une partie de carte ou de recevoir son fils à l’occasion. Elle est chez elle et souhaite y demeurer.

Pour se faciliter la vie, elle a fait installer, avec l’aide de son CLSC,  un ouvre-porte automatique et  tous les tapis qui pouvaient provoquer des chutes ont été retirés de l’appartement. Des téléphones supplémentaires au sol ont été installés à 4 endroits dans son petit logement pour s’assurer qu’ils seront accessibles si elle devait faire une chute.

En 1994, elle avait droit à une heure de services tous les jours et à deux blocs de trois heures par semaine pour un total de 13 heures par semaine. Depuis, elle a dû subir 8 opérations importantes aux genoux, à une hanche, aux deux épaules et aux coudes.

Elle était alors en meilleure santé,  mais celle-ci s’est détériorée depuis. Malgré cela, elle reçoit actuellement moins de services qu’en 1994. En 2002, elle a toujours droit à une période  chaque matin pour l’aider à s’habiller, mettre sur le comptoir les choses dont elle aura besoin dans la journée et sortir des aliments du congélateur. On lui accorde quatre heures supplémentaires de services, réparties sur deux journées, pour laver son lit, lui préparer de la nourriture, faire l’épicerie, la lessive pour un total de 9 heures par semaine. Ce qui se faisait en 6 heures avant,  se fait maintenant en 4. «Quand elle fait mon lit, moi je rentre dans la douche, qu’elle a fini mon lit, elle m’essuie, me crème, m’habille, sort ce dont j’aurai besoin dans la journée et elle repart à la course».

Il y a trois semaines, elle s’est fait dire qu’elle était «chanceuse» d’être malade depuis longtemps, d’être entrée dans le système avant les compressions budgétaires. Si elle faisait une nouvelle demande aujourd’hui avec une condition de santé comparable, elle ne recevrait pas la moitié des services qu’elle reçoit aujourd’hui et ce, à condition de ne pas être inscrite, pendant des mois, sur une liste d’attente.

«Je ne rajeunis pas, je crains parfois qu’on ne puisse continuer de me donner les mêmes services. Mais si je suis ici aujourd’hui c’est surtout pour dire que d’autres personnes aussi malades que moi devraient recevoir au moins les mêmes services que moi. Comme on ne nous hospitalise à peu près plus, le moins que puisse faire le gouvernement, c’est de débloquer l’argent pour que les CLSC nous viennent en aide à domicile.»

Julie, jeune adulte atteinte de fibrose kystique

Julie a 23 ans. Elle est gravement atteinte de fibrose kystique. En dépit de sa maladie, elle a toujours été très active. Depuis l’âge de 17 ans, elle vit seule en logement. Elle a poursuivi des études collégiales, et participe activement au Comité provincial des adultes fibro-kystiques. Elle a également siégé au Conseil d’administration de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec.

Au cours des deux récentes années, avant de recevoir une greffe pulmonaire, sa condition physique a nécessité qu’elle reçoive des services de soutien à domicile en oxygénothérapie et inhalothérapie. Au départ, les visites de l’inhalothérapeute se faisaient aux deux semaines puis, à chaque semaine. Ayant constaté que l’état de santé de Julie s’était détérioré (infections pulmonaires, fatigue chronique et essoufflement), l’inhalothérapeute a évalué que celle-ci avait besoin de séances de drainage postural (clapping) et l’a référée à son médecin traitant. Celui-ci lui a prescrit une séance par jour. L’inhalothérapeute a également proposé à Julie de voir une travailleuse sociale du CLSC afin que celle-ci fasse l’évaluation de ses besoins en terme d’aide domestique (cuisine et ménage). À ce moment-là, Julie a pu, grosso modo, obtenir du CLSC les services requis.

La situation s’est stabilisée pendant quelques mois puis son état de santé a empiré, ce qui impliquait davantage de soins et de services à domicile. La travailleuse sociale a évalué que le nombre d’heures de services devait passer de 18 heures à 27 heures. Or, le CLSC a refusé de les lui accorder, considérant la longue liste d’attente et le manque de ressources financières à sa disposition. La travailleuse sociale a fait part à Julie qu’elle devrait envisager d’être hébergée dans un centre de soins de longue durée malgré son jeune âge.

Devant cela, pour éviter l’hébergement proposé, Julie a dû faire appel à sa mère qui a accepté de la recevoir chez elle. Ayant changé de territoire de CLSC, Julie a dû attendre plus de trois semaines avant d’être vue par une inhalothérapeute. Durant cette période, c’est sa mère qui a dû assumer les séances de drainage postural, soit une heure le matin, avant d’aller travailler et une heure le soir, à son retour de travail, en plus des soins personnels dont avait besoin Julie.

Après avoir été vue par l’inhalothérapeute, il a été convenu que Julie devait avoir trois séances par jour de drainage postural, chacune de ces séances devant durer une heure. On comptait sur la mère de Julie pour la troisième séance journalière ainsi que les trois requises par jour durant les fins de semaine, de même que pour les travaux domestiques et les soins personnels requis par l’état de santé de Julie. Julie estime que sa mère consacrait à ses soins au minimum 14 heures par semaine, alors que le CLSC n’en assumait que 10.

Cette situation a perduré pendant quelques mois, avant que Julie ne bénéficie d’une greffe pulmonaire. Elle estime qu’elle n’a pas reçu les services auxquels elle avait droit.

 

Estelle, aidante au-delà de ses limites

Estelle a 60 ans. Il y a cinq ans à peine, elle vivait à St-Hyacinthe. Même si elle a été victime d’un accident cérébro-vasculaire en 1995 qui l’a laissée avec une main paralysée et une jambe peu mobile, elle a quitté St-Hyacinthe en 1998 pour venir prendre soin de sa mère, de 80 ans, elle aussi victime d’un ACV. Depuis la mère d’Estelle ne peut se déplacer sans aide, elle est incapable de faire sa toilette seule et de préparer ses repas. Le CLSC ne peut offrir que le service de bain et c’est Estelle qui doit s’occuper de tout le reste malgré ses propres limites.

Simplement pour aller faire les commissions, Estelle doit installer sa mère dans un fauteuil, avec un verre d’eau, une petite collation et lui rappeler de ne pas se lever quoi qu’il arrive. (Soulignons que sa mère a eu une fracture de la cheville l’année dernière simplement en tentant de passer de son lit à sa toilette d’aisance). Marchant avec une canne, Estelle se rend à l’épicerie d’où elle appellera plusieurs fois de son cellulaire pour s’assurer que tout va bien. S’il n’y a pas de problème, les sacs d’épicerie seront livrés à domicile. Il y a deux semaines en tentant de répondre à la porte, sa mère a fait une chute et la voisine qui venait lui rendre une brève visite a dû chercher de l’aide auprès des voisins présents, pour la relever. Ce jour-là, les commissions sont restées dans le panier, Estelle appelait mais personne ne répondait. Elle est donc rentrée aussi rapidement que possible.

Pour la préparation des repas, ce n’est pas toujours simple. Estelle peut préparer des repas cuisinés seulement si elle a quelqu’un qui peut l’aider à sortir les plats du four. Pour les déjeuners et les dîners, la préparation doit être simple pour qu’elle puisse y arriver : des céréales, des toasts ou des salades. Il arrive à l’occasion qu’un monsieur qui habite le même bloc leur apporte des mets préparés pour le souper. A l’occasion aussi, les repas sont directement livrés du restaurant mais c’est nettement au-dessus de leurs moyens pour y recourir tous les jours.

L’habillement quotidien nécessite qu’Estelle, qui n’a qu’une main fonctionnelle, et sa mère y mettent, toutes les deux, une énergie folle. Lors de ses propres visites chez le médecin, Estelle doit recruter et payer une personne qui veillera sur sa mère. Ainsi, seulement, elle pourra avoir la certitude que ce sera toujours la même personne qui viendra, ce qui n’est pas le cas avec l’agence privée qui offre parfois le service sur demande du CLSC.

Plus de deux ans se sont passés avant qu’Estelle ne puisse prendre des vacances, qu’elle ne puisse vraiment s’accorder du temps avec ses enfants, du temps pour elle. L’an dernier, sa sœur, une commerçante, a pu accueillir sa mère à Québec pour six semaines. Cette année, Estelle n’aura aucun répit. Elle vole ici et là quelques minutes pour souffler quand l’auxiliaire familiale est là pour le bain de sa mère et qu’elle n’a pas à s’en occuper.

Estelle a l’intention de tout faire pour éviter que sa mère soit envoyée dans un centre d’accueil contre son gré. Pour y arriver, elle aurait besoin d’aide pour le lavage des planchers, le ménage, la préparation des repas et quelques instants de répit. Ce ne sera pas possible tant que son CLSC n’aura pas les moyens de répondre aux besoins.
 
Sylvie, travailleuse remerciée de ses services

Nul n’ignore que les familles et les proches sont littéralement conscrits de gré ou de force. En décembre dernier, même le Vérificateur général du Québec en rajoutait en dénonçant le fait que les proches et les familles de personnes ayant des incapacités étaient devenus à toutes fins pratiques du «personnel d’appoint non rémunéré » pour le réseau. Mme Sylvie L. est l’une de celles dont parlait le Vérificateur général. Voici succinctement son histoire :

Depuis deux ans, elle est superviseure dans une importante compagnie de Montréal. Elle aime son emploi et est appréciée de son employeur. Au moment où son fils s’apprête à quitter la maison pour voler de ses propres ailes… elle apprend que sa mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Sylvie prend contact avec son CLSC, elle a besoin d’aide. Faute de ressources, le CLSC ne pourra lui offrir qu’une journée et demie de répit par semaine. Pour le reste, elle devra se débrouiller comme elle peut. Puisqu’elle veut conserver son emploi, Sylvie doit engager une personne pour s’occuper de sa mère qui ne peut rester seule, les trois jours de la semaine où elle n’a pas de services du CLSC. Dieu merci, comme nombre de personnes âgées, la mère de Sylvie avait amassé au cours des ans un petit pécule. Il s’envolera en fumée par les frais engagés.

Pendant ce temps, Sylvie avertit son employeur de la situation. Au début tout va bien. Bientôt, elle doit s’absenter deux jours pour s’occuper de sa mère. C’est à ce moment que ses relations avec son employeur prennent une autre tournure. Pendant un an, il prendra tous les moyens pour se débarrasser d’elle. Au bout d’un an, de guerre lasse, Sylvie accepte l’entente que lui offre son employeur pour qu’elle laisse son emploi.

Pendant une autre année, Sylvie s’occupera de sa mère qui vit dans le logement au-dessus du sien. 24 heures par jour, 7 jours par semaine, sauf la journée et demie de répit du CLSC. Elle se sent comme prise au piège, de n’être là que pour répondre aux besoins de sa mère. Cette fois-ci, c’est la relation avec son conjoint qui en prend un coup… Sylvie devra donc se résigner à demander une place en hébergement pour sa mère. Une fois encore elle a dû se battre pour obtenir gain de cause. Les places étant là aussi limitées, le CLSC ne voulait pas prioriser la situation : sa mère n’est pas en danger, elle s’en occupe.

Faute de ressources suffisantes allouées aux CLSC, Sylvie a perdu son emploi qui lui procurait 43 000 $ par année. Sa mère enfin hébergée, elle est à la recherche d’un emploi. Mais elle est consciente qu’elle a tout de même 48 ans et que la situation économique au Québec est devenue précaire. Tout compte fait, elle sera bien heureuse si elle retrouve un nouvel emploi à 35 000 $. En plus de perdre son emploi, de devoir accepter un nouvel emploi probablement moins bien rémunéré, Sylvie a dû dépenser les économies de sa mère et mettre en péril son couple. C’est cher payer pour compenser les services inexistants des CLSC et permettre ainsi au gouvernement d’avoir un bilan sans déficit. Car son déficit à elle, elle le trouve bien lourd…

 
En conclusion

On doit réaliser que le message est le même, qu’il soit porté par une personne avec des incapacités ou par une personne aidante. «Nous avons collectivement franchi les limites de l’inacceptable voire même de l’indécence sociale». Peu importe comment le gouvernement  justifiera que le Québec soit la province qui investit le moins dans les services publics à domicile, un fait demeure : le Québec n’a pas véritablement fait le choix des services à domicile publics et toutes ces personnes le paient très cher. 

Cette situation ne peut d’autant plus durer qu’elle va à l’encontre de l’article 1 de la Loi qui constitue l’assise de notre régime de santé et de services sociaux et qui stipule que «Le régime de services de santé et de services sociaux institué par la présente loi a pour but le maintien et l’amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes d’agir dans leur milieu et d’accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie. » Comment le gouvernement peut-il justifier que cet article ne s’applique pas à 1,2 million de personnes qui ont actuellement des incapacités au Québec ?

Ce que ces personnes demandent au gouvernement québécois n’a rien de déraisonnable : c’est l’équivalent de 68 cents de plus par jour pour chacune des personnes ayant des incapacités au Québec. Il est temps que l’on reconnaisse collectivement que les services à domicile, c’est plus qu’une affaire de cœur, c’est une question de droit.

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