LETTRE À LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE

 

Voici une lettre adressée à la Vérificatrice générale par trois ex-cadres du Ministère de la Santé et des Services sociaux, telle que rapportée dans LeDevoir du samedi 23 avril. Nous voulons ainsi faire connaître plus largement encore le contenu de leur missive, de même que recueillir d’autres appuis à leur initiative.

À leur demande, la Coalition recevra les noms des personnes et organismes qui veulent rallier les rangs des appuyeurs dont vous trouverez la liste à la fin de la lettre. Vous pouvez le faire par un message envoyé à cssante@gmail.com .

Jacques Benoit,

Coordonnateur.

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LA SITUATION DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ NOUS INQUIÈTE

Texte collectif*

 

Madame la Vérificatrice générale,

Nous voulons attirer votre attention sur des questions fort préoccupantes pour l’évolution de notre système de santé, questions qui mériteraient, selon nous, des travaux de vérification. En vertu du mandat et des pouvoirs qui sont les vôtres, vous représentez l’institution la plus crédible pour effectuer une lecture neutre et objective de la situation actuelle dans le secteur de la santé et des services sociaux.

Nous avons associé à notre démarche des personnes qui se sont impliquées activement dans le réseau de la santé et des services sociaux du Québec au cours des dernières décennies comme gestionnaires, professionnels et travailleurs de la santé, représentants des travailleurs ou des bénéficiaires ou comme membres de conseils d’administration. Leurs noms sont annexés à la présente.

Plusieurs raisons sous-tendent nos inquiétudes et motivent la présente démarche. 1- Les évidences scientifiques ne soutiennent pas les effets recherchés par plusieurs des mesures de la réforme en cours, que ce soit la fusion des établissements, la centralisation des pouvoirs dans les mains du ministre ou encore la médicalisation et la privatisation de la fourniture de services. Les évidences scientifiques témoignent souvent d’effets inverses à ceux recherchés. 2- Toutes les instances qui étaient susceptibles de fournir une lecture différente de celle du ministre sur ce qui se passe dans le réseau ont été abolies ou muselées : association d’établissements, conseils d’administration élus ou nommés par la base, équipe de recherche analysant l’impact des changements organisationnels sur les services à la population et sur la performance des organisations ainsi que, tout récemment, le Commissaire à la santé et au bien-être. 3- Le personnel du réseau n’ose plus faire de représentations publiques de peur de subir des représailles. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’aucun des signataires de cette lettre ne travaille actuellement dans le réseau de la santé et des services sociaux. 4- Les médias n’ont plus la même latitude qu’auparavant pour observer ce qui se passe dans les établissements. 5- Les chercheurs ne peuvent plus avoir rapidement accès aux données leur permettant d’apprécier les impacts des changements découlant de la réforme. 6- Plusieurs observations d’un nombre croissant d’acteurs du réseau ne corroborent par les effets déclarés par les autorités politiques. C’est pourquoi nous estimons qu’une vérification des impacts de la transformation majeure que subit le réseau est pertinente.

Si vous partagez nos préoccupations, nous pensons que la vérification pourrait couvrir au moins les trois points suivants : les soins et les services à la population ; l’évolution des budgets et leur répartition ; la charge de travail des employés.

Le premier point, et le plus important, est la prétention des autorités voulant que ces transformations peuvent s’effectuer sans affecter les services à la population. Nous en doutons énormément. Nous craignons que la mise en place de la loi 10 concentre les services à la population dans les régions urbaines au détriment des régions périphériques et éloignées. Certaines missions des CISSS et des CIUSSS, dont celles des services hospitaliers et des services médicaux spécialisés, sont susceptibles d’être avantagées au détriment d’autres missions, dont les services à domicile, la première ligne, la santé publique, la santé mentale, les services aux personnes handicapées et aux jeunes en difficulté. Votre analyse pourrait cibler, avant et après la mise en place de la loi 10, l’évolution de l’importance relative des clientèles selon les différentes missions des CISSS ainsi que leur déploiement selon leur région d’appartenance.

Le deuxième point concerne l’allocation et l’utilisation des ressources. La prétention des autorités est que ces transformations permettront d’importantes économies en raison de la taille plus importante des établissements, principalement au chapitre des dépenses d’administration. Là encore, nous en doutons. Les évidences scientifiques démontrent plutôt que des économies sont possibles lorsqu’on fait référence à des établissements de petite et moyenne taille. Au-dessus d’un certain seuil (400-500 lits), les coûts ont tendance à augmenter plutôt qu’à diminuer. De plus, les économies d’échelle sont plus ténues lors de fusions d’établissements de missions différentes comme c’est le cas avec la loi 10. Il en résulte souvent un transfert de ressources vers les établissements qui occupent une position dominante dans la fusion, comme c’est le cas avec les centres hospitaliers. Nous estimons important de vérifier l’évolution des budgets des établissements de santé et de services sociaux avant et après leur fusion selon leur mission et la région à laquelle ils appartiennent, notamment sous l’angle des dépenses administratives et de celles qui concernent les services à la population.

Le troisième point concerne la charge de travail imposée au personnel. Aucune considération n’est accordée par les instances politiques à l’impact de ces transformations et compressions budgétaires sur le fardeau de tâches de ces travailleurs et travailleuses. Or, cet impact est important. S’il est difficile d’en mesurer directement le poids, il existe toutefois des indicateurs qui permettent d’apprécier des conséquences négatives résultant de l’accroissement de la charge de travail. Analyser l’évolution des nombres de départs, de postes non pourvus et des congés de maladie dans les établissements de la santé et des services sociaux, avant et après leur fusion dans les CISSS et les CIUSSS, et ce, selon les missions des établissements et leur région d’appartenance pourrait fournir des réponses.

Nous sommes conscients que cette proposition constitue un travail d’une grande ampleur. Nous la considérons comme justifiée étant donné que la santé et le bien-être sont une préoccupation majeure de la population, qui y consacre annuellement une quantité de ressources très importante.

Sachant que vous êtes préoccupée, comme nous, par les effets produits par les changements en cours dans le réseau de la santé et des services sociaux, nous pensons que vous recevrez notre proposition avec intérêt.

Nous vous remercions, Madame, de l’attention que vous porterez à cette proposition.

 

*Ont signé ce texte:

Paul Lamarche, professeur honoraire, Administration de la santé, Université de Montréal, ex-Sous-ministre associé au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Pierre Joubert, ex-directeur de la recherche et de l’évaluation au MSSS et ex-directeur de la recherche, de la formation et du développement à l’INSPQ.

Marc-André Maranda, ex-directeur du programme de santé publique au MSSS.

 

Liste des personnes qui appuient cette initiative :

Jacques Benoît, coordonnateur, Coalition Solidarité-Santé

Liliane Bertrand, ex-cadre de santé publique au MSSS

Yves Bolduc, président, Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux AGESSS

Camil Bouchard, professeur associé, UQAM

Astrid Brousselle, professeure, Université de Sherbrooke

Annie Carrier, professeure, Université de Sherbrooke

André-Pierre Contandriopoulos, professeur émérite, Université de Montréal

Damien Contandriopoulos, professeur, Université de Montréal

Jean-Claude Deschênes, professeur, ENAP, ex-sous-ministre en titre, Santé et Services sociaux

Michel Gervais, ex-président du CA, Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux

Yun Jen, présidente de l’Association médicale du Québec

Gérald Larose, professeur invité, UQAM

Diane Lavallée, ex-directrice générale, Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux

Mélanie Levasseur, professeure, Université de Sherbrooke

Laurent Marcoux, président sortant de l’Association médicale du Québec

Jean-Pierre Ménard, avocat pour la défense des malades

Hélène Morais, ex-présidente, Conseil de la santé et du bien-être

Raynald Pineault, professeur émérite, Université de Montréal

Amélie Quesnel-Vallée, professeure adjointe, Université McGill

Lee Soderstrom, professeur honoraire, Université McGill

Jean Turgeon, professeur associé, ENAP

 

(Tiré de l’édition numérique du Devoir du 23 avril 2016.)

 

Le Bull’info – plus qu’une revue de presse –  du 24 avril 2016