MON OEIL – Édition du 11 mars 2019

LA TRÈS COURTE SAISON DES BUDGETS 

Le ministre Morneau présentera le budget fédéral  le 19 mars prochain et le ministre Girard déposera le provincial deux jours plus tard, le 21.

Évidemment, à deux jours d’avis, celui du Québec ne sera pas en réaction à celui d’Ottawa. Ce qui n’empêche pas que l’un puisse avoir des impacts sur l’autre, et ce, dans les deux sens.

Prenons trois dossiers importants.

D’abord l’assurance médicaments.

Il y a dix jours, une large coalition québécoise s’est adressée au gouvernement fédéral. Dans une lettre, elle l’avertissait de ne pas commettre l’erreur de mettre en place un régime hybride privé-public comme au Québec. 

Quelques jours plus tard, le dépôt d’un rapport provisoire du comité sur la faisabilité d’un régime d’assurance médicaments pancanadien n’a rien eu pour rassurer la coalition, puisqu’il laisse encore toutes les avenues ouvertes. 

D’ailleurs, réagissant par communiqué de presse, l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) écrivait : « Un régime d’assurance médicaments national devrait améliorer la couverture des personnes qui en ont besoin, et non affaiblir les avantages déjà offerts par les régimes au travail. » Évidemment, l’ACCAP a préféré passer sous silence que les seuls avantages restants sont à leur profit, eux qui se financent en pourcentage des prix payés. Les avantages pour les assuré.e.s des régimes privés au Québec ont fondu depuis belle lurette sous le poids de l’augmentation des prix des médicaments, au point où de plus en plus de lieux de travail abandonnent leurs assurances à cause des primes trop élevées qui en découlent. On entend même plusieurs assureurs privés élever la voix pour que les médicaments les plus onéreux soient aux frais du régime public, pour se garder ceux qui sont les plus rentables. Comme d’habitude, socialisons les pertes et privatisons les profits !

Un régime d’assurance médicaments universellement public pourrait tout aussi bien être annoncé dans le budget fédéral que dans le budget provincial. Le Québec est allé de l’avant seul pour la mise en place du régime actuel, et il pourrait l’améliorer sans attendre Ottawa, en jouant un rôle de leader. Seulement pour le Québec, les économies à la clé pourraient atteindre plus de trois milliards $ par année. Y a-t-il un gouvernement québécois qui peut se passer d’une telle économie dans les finances publiques ?

Un deuxième dossier est celui du financement de la santé.

L’entente intervenue, pour ne pas dire imposée il y a deux ans par le fédéral  aux provinces, sous la gouverne de la ministre de la Santé Jane Philpott, fait en sorte que la part du financement d’Ottawa passera de 23 % à 20 % sur dix ans. Selon Québec, cette diminution équivaudra à une perte de 14 milliards $ entre 2017-18 et 2026-27.

Difficile de comprendre qu’une ministre fédérale, médecin de surcroît, ait imposé une telle entente, sachant elle-même que la population canadienne vieillit, que les maladies chroniques accompagnent souvent le vieillissement, qu’on souhaite de plus en plus le maintien des personnes à domicile, et que les besoins en soins et services iront augmentant, tout comme d’ailleurs la démographie : plus de citoyen.ne.s à couvrir mais moins d’argent pour les couvrir. Une aberration ! 

La Commission royale sur l’avenir des soins de santé au Canada, dans son rapport de 2002, estimait que le financement d’Ottawa devait rester stable et à une hauteur de 25 % des budgets provinciaux pour soutenir la viabilité à long terme des systèmes de santé des provinces. Pour Roy Romanow, son président, une baisse du financement fédéral ne pouvait qu’affaiblir le système public et accroître la privatisation. À moins que ce ne soit l’objectif déguisé du gouvernement Trudeau : plus de privatisation. 

Dans le cas contraire, le budget Morneau devrait opérer dès maintenant le virage qui s’impose, surtout tenant compte du contexte des prochaines années.

Ce contexte, qui s’applique aussi au budget provincial, est justement le troisième dossier : la lutte au réchauffement climatique.

Là encore, les deux budgets peuvent jouer un rôle séparément dans cette lutte qui nécessite des mesures drastiques, dont la radicalité est inversement proportionnelle au temps qu’il nous reste pour les mettre en place. Mais si les deux budgets s’accordaient pour tirer dans le même sens, les chances seraient plus grandes d’éviter les conséquences catastrophiques qui nous attendent en ne faisant rien, comme l’a dit Antonio Gutterez, secrétaire général de l’ONU, en septembre dernier.

Même en agissant maintenant, le réchauffement climatique ne s’arrêtera pas par magie, il se poursuivra encore pendant plusieurs années, et aura des impacts sur la santé de la population de tous les pays, y compris ici au Canada. C’est déjà le cas: par exemple, la pollution cause 300 décès par année pour la ville de Québec seulement, mais 2 000 par année pour tout le Québec, soit plus que les accidents d’autos. Et le réchauffement climatique favorise l’augmentation de cette pollution.

Il en va de même pour les allergies, par exemple le « rhume des foins », qui est causé entre autres par le pollen.  Or, le réchauffement climatique aura comme effet plus de sécheresses, plus de grands vents et d’orages. Qui dit sécheresse dit poussières qui peuvent contenir des pollens. Plus les sécheresses seront nombreuses, plus l’impact des pollens contenus dans les poussières risque d’être important. De même, les grands vents charrieront sur de plus grandes distances ces pollens et autres substances susceptibles de provoquer des allergies. Quant aux orages, qui seront aussi plus nombreux, l’Institut national de santé publique du Québec dit qu’ils occasionnent des éclosions asthmatiques allergiques d’importance.

Un rapport de 2009 publié par la revue britannique The Lancet avait identifié le changement climatique comme la plus grande menace mondiale pour la santé publique au 21e siècle. 

Rappelons que moins on réduira nos émissions de gaz à effet de serre (GES), qui causent le réchauffement climatique, plus on devra s’adapter et plus on va en souffrir. Inversement, plus on réduira nos GES, moins on aura à s’adapter et moins on en souffrira. Mais au final, nous devrons quand même nous soigner et nous protéger des impacts, ce qui entraînera des coûts importants qu’il faut déjà prévoir et engager. 

Le 15 mars prochain, à moins d’une semaine des deux budgets, une grève étudiante aura lieu en réponse à un appel international, avec des manifestations prévues dans sept villes du Québec, mais plus de 500 autres dans une cinquantaine de pays.

Même des plus jeunes encore s’impliquent depuis plusieurs semaines contre la crise climatique.

Tous ces étudiant.e.s sont en droit de s’attendre à ce que leurs gouvernements cessent de nier la science, et s’occupent de leur avenir de plus en plus menacé. 

Et ça commence avec le dépôt des budgets.

 

Jacques Benoit.

 

MON OEIL – 11 mars 2019

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