Le passage de la Coalition solidarité santé à la commission parlementaire sur le Livre blanc sur l’assurance autonomie

Madame la présidente, Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs les député-e-s,

La Coalition Solidarité Santé regroupe une quarantaine d’organisations syndicales, communautaires, féministes et religieuses. Depuis sa fondation en 1991, elle défend le droit à la santé pour l’ensemble de la population québécoise, sans égard au statut ou au revenu des citoyennes et des citoyens.

Solidarité Santé défend les grands principes qui ont conduit à la mise sur pied du système public de services sociaux et de santé, soit le caractère public, la gratuité, l’accessibilité, l’universalité et l’intégralité, sans frais modérateurs ou tarification, ni surfacturation, des principes qu’on retrouve dans la Loi canadienne de la santé et dans le Pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, signé par le Québec, en 1976.

La Coalition solidarité santé salue aujourd’hui la volonté ministérielle de rehausser et d’améliorer la réponse aux besoins de services à domicile de la population, particulièrement auprès des personnes en perte d’autonomie pour leur maintien dans leur communauté.

Mais cette volonté, selon nous, doit se traduire en respectant les objectifs de notre système de services sociaux et de santé, c’est-à-dire par une augmentation, une intégration et une continuité des services déjà offerts, et que ceux-ci soient financés par des impôts. Le ministre ne doit pas utiliser et promouvoir des services privés, furent-ils d’économie sociale,  et financés par une nouvelle caisse santé.

Nous aimerions rappeler à la commission que le projet qui nous est présenté est la troisième grande réforme de notre système public en moins de 20 ans:

La première, le virage ambulatoire, comportait un volet soins et services à domicile; lors de ce virage, comme Coalition, nous avons mis en garde sur les ressources nécessaires, et le fait qu’il fallait absolument qu’elles suivent les patients et patientes, on a dénoncé les risques et les dangers liés à des ressources qui ne suivraient pas …  Mais on nous a assuré qu’il n’y avait aucun danger, que ça allait se faire. Et pourtant, les ressources requises n’ont pas toutes suivi, le problème est encore là et n’est toujours pas réglé;

La deuxième : la fusion des CLSC, CHSLD et CH pour en faire de gros CSSS; cette fusion allait régler les problèmes de continuité des services jusque dans les domiciles : là encore, nous avons dénoncé les risques et dangers des fusions, dont l’hospitalo-centrisme qui risquait de transformer l’hosto en première ligne, avec des urgences qui déborderaient, avec la fonction hospitalière qui boufferait tous les budgets au détriment des services de prévention qui seraient réduits comme peau de chagrin, des listes d’attente qui ne feraient qu’augmenter, etc. Mais on nous a assurés qu’il n’y avait aucun danger, que ça n’arriverait pas, au contraire. Dix ans plus tard, on est en plein dans les problèmes que nous avions prédits.

Alors, quand on soulève et qu’on souligne à grands traits les risques et dangers de la réforme qui nous est proposée, nous croyons que notre moyenne au bâton de 2 en 2 devrait suffire pour qu’on soit pris au sérieux!

Et c’est parce que nous nous souvenons de l’histoire que nous recommandons d’entrée de jeu au Ministre qu’avant de s’embarquer dans une nouvelle réforme, qu’il procède par ordre et assure d’abord une meilleure réponse aux citoyennes et aux citoyens qui sont actuellement en attente de services, et une meilleure intégration de ces services.  

Nous recommandons que cette réponse soit le début d’un état des lieux permettant, d’une part, de tracer un portrait des besoins des citoyennes et des citoyens, et, d’autre part, d’amener les CSSS à procéder à une « évaluation obligatoire » et sérieuse des problèmes actuels au sein du réseau de la santé et des services sociaux : la santé de son personnel, les ressources disponibles, la coordination des services et la surveillance actuelle de leur qualité.

Le Ministre nous semble pressé de « reconnaître » un nouveau droit à des services. Avons-nous besoin de lui faire remarquer qu’en l’absence des ressources publiques nécessaires pour y répondre, la « construction » dans l’opinion publique de ce nouveau droit n’aura pour effet que de justifier l’arrivée, l’existence et l’utilisation de services privés? Nous espérons qu’il ne s’agit pas de l’objectif non-avoué du Ministre.

Le livre blanc fait grand cas de ce que ça va nous coûter si nous ne faisons rien.

Nous voulons rappeler au ministre que bien d’autres éléments sont des sources plus importantes de coûts et que ni son gouvernement, pas plus que le précédent, n’y ont fait quoi que ce soit. Le ministre lui-même témoignait de l’existence de ces éléments problématiques en 2006 en commission parlementaire : les médicaments, les nouvelles technologies, l’utilisation de l’hôpital comme  première ligne, et la sous-traitance et l’utilisation des services et de la main d’œuvre privée. À cela, nous ajoutons aujourd’hui la rémunération et le mode de rémunération des médecins.

De plus, en vue de réellement diminuer les coûts des services de santé, nous recommandons que le gouvernement :

renforce les activités de prévention et les services sociaux, dans le réseau public de santé;

qu’il prenne en considération les impacts de l’ensemble de ses décisions et de ses agissements sur les conditions de vie des personnes, qui sont les déterminants des conditions de santé;

et qu’il étudie toutes les avenues possibles pour réduire la médicalisation des services de santé et le recours aux services d’urgence des hôpitaux comme porte d’entrée du réseau.

L’objectif qui doit guider cette réforme ce n’est pas le maintien « à domicile » mais le maintien dans le milieu de vie et le soutien et l’amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes d’agir dans leur milieu et d’accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie, quels que soient leur âge et leurs limitations fonctionnelles (physiques, mentales, etc.), bref, l’article 1 de la loi de la Santé et des services sociaux.

Nous disons aussi que la sécurité physique et psychologique des personnes doit être une valeur traversant toutes les composantes de l’assurance autonomie, tant pour celles qui reçoivent les soins et services que pour celles qui les donnent et celles qui les aident.

C’est pourquoi nous disons qu’il faut que les bonnes personnes soient au bon endroit. Cela signifie qu’il faut retourner au consensus de 1996, à savoir que le soutien aux Activités de la vie quotidienne (AVQ), les soins à la personne, soit de la responsabilité des services publics et réservé au personnel formé et qualifié des équipes d’intervention multi, pluri ou interdisciplinaire des CSSS: les auxiliaires familiales et sociales (ASSS), les infirmières auxiliaires ou les préposé-e-s aux bénéficiaires.

Le Livre blanc s’égare en séparant les personnes selon leur âge, et en associant « perte d’autonomie » à « personnes âgées ». On peut avoir une limitation fonctionnelle à tout âge. L’admissibilité devrait être fonction des besoins, et non de l’âge, en tenant compte des besoins particuliers. Cela favoriserait une meilleure intégration des soins et services. Nous considérons que personne ne devrait payer ni pour ses limitations, ni pour sa perte d’autonomie. Il faut assurer les services à tous ceux et celles qui en auront besoin, quels que soient leur âge, leur type de limitation ou leur revenu.  

Parce que quoi qu’on en dise, les services à domicile font partie du réseau public de services sociaux et de santé. Le fait de changer le lieu de la prestation ne change pas la nature ni l’objet de la prestation. Pour cette raison, les services à domicile doivent profiter de la même couverture que ceux prodigués dans les institutions du réseau.  Tous les services déterminés par les besoins doivent être gratuits à l’usage pour toutes et tous. 

Enfin, sur la question du financement, outre ce que nous avons mentionné au début sur le contrôle des coûts, qui pourraient dégager selon certaines estimations entre 500 millions $ et 1 milliard $, le financement des services de soutien à l’autonomie doit se faire de la même façon que pour les autres services publics sociaux et de santé, à savoir par des impôts progressifs appliqués au revenu des individu-e-s et des entreprises, et pas par des tarifications, contributions ou taxes-dédiées comme une taxe-santé, modulée ou non. Le principe de l’utilisateur-payeur qu’a voulu imposer l’ancien gouvernement est totalement contraire à l’équité et à la justice sociale, et doit être banni.

Enfin, nous mettons en garde le Ministre d’agir trop rapidement avec sa politique. Pour nous, là comme dans d’autre chose, il vaut mieux prévenir que guérir : ça fait moins mal, et ça coûte moins cher. 

Nous aimons nous rappeler cette phrase souvent répétée dans le mouvement communautaire : « C’est parce qu’il y a urgence qu’il faut prendre le temps de bien faire les choses! » 

Il faut prendre le temps de bien faire, parce que ce n’est pas un jeu : on n’aura pas le loisir de refaire.

C’est pourquoi, lors du dépôt du projet de loi suivant le Livre blanc, nous demandons que le Ministre tienne de nouveau une consultation large de tous les intervenantes et intervenants concerné-e-s et intéressé-e-s à apporter leur contribution. 

Nous disons au Ministre que pour que son projet profite à l’ensemble de la société, l’objectif de sa nouvelle politique ne doit pas être de tarifer, d’économiser et de privatiser, mais de desservir efficacement et adéquatement les personnes, en toute sécurité, avec les ressources appropriées.

Merci.

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