Chronique de la mort annoncée des CLSC

Il ne reste que cinq semaines avant que le ministre Philippe  Couillard signe définitivement le constat de décès des CLSC par l’émission des nouvelles lettres patentes aux réseaux locaux proposés par les agences régionales.

Pour la Coalition Solidarité Santé, il ne fait aucun doute que le projet ministériel de détruire un fleuron du système de santé québécois n’a jamais été souhaité par la population, les groupes communautaires, ni des groupes syndicaux ou religieux. Rappelons aussi que cette réforme des structures de notre réseau de santé et de services sociaux n’était pas non plus inscrite dans le programme libéral.

Selon Marie Pelchat, porte-parole de la Coalition, « le gouvernement n’a aucune légitimité pour faire disparaître le réseau des 148 CLSC québécois et il doit d’urgence reconsidérer sa décision avant de commettre l’irréparable. C’est donc un ultime appel au respect des valeurs démocratiques que lance aujourd’hui la Coalition ».

Aucune démocratie

Lors des consultations parlementaires de décembre dernier sur le projet de loi 25, la très grande majorité des groupes entendus ont demandé au ministre de favoriser l’amélioration des collaborations inter-établissements plutôt que les fusions d’établissements. Plus de 1300 groupes communautaires, syndicaux et religieux avaient aussi demandé, à l’instar de la Coalition, le retrait pur et simple du projet de loi 25.

Lors de leurs consultations publiques, les agences régionales ont reçu davantage d’opposition que d’appuis à leurs projets inspirés de la loi 25.  Partout, elles ont reçu les critiques qui avaient été exprimées en commission parlementaire et dont le ministre Couillard a refusé de reconnaître le bien-fondé.

Des milliers de citoyennes et de citoyens, ayant participé aux assemblées publiques des agences régionales, ont aussi rejeté les différents projets de fusion qui leur ont été soumis.

« Les projets des agences sont suspects au premier chef. Toutes les personnes siégeant aux conseils d’administration des régies régionales ont été nommées, en janvier 2004, par le ministre lui-même. Il n’est donc pas étonnant qu’elles se soient soumises à la volonté ministérielle. Mais nous considérons que les conseils d’administration des agences avaient une responsabilité d’entendre la population et ne pouvaient  proposer  exactement le contraire de ce qu’elles ont entendu lors des consultations », souligne la porte-parole de la Coalition.

Les nouveaux silos du ministre

Le ministre Couillard a justifié sa réforme de structures par le fait que le travail se faisait actuellement en silo dans le système de santé, exagérant les carences dans  la collaboration qui existe présentement entre les établissements. Mais il est aisé d’observer que le projet ministériel contient exactement le même travers et en pire, observe la Coalition. On remplacera simplement les silos d’établissements par des silos de « clientèles ». Les  instances locales devront organiser leurs services en fonction de catégories de  populations vulnérables : personnes ayant des problèmes de santé mentale, personnes âgées en perte d’autonomie, jeunes en difficulté, etc.  À quel silo appartiendra une personne âgée ou un jeune qui présente des problèmes de santé mentale ? questionnent les membres de la Coalition.

La protection des missions : un miroir aux alouettes

À maintes reprises lors des consultations régionales, les citoyens et les groupes opposés se sont fait promettre que les missions de première ligne et de  prévention seraient protégées, que les transferts budgétaires des hôpitaux vers ces deux missions seraient possibles et non pas le contraire. « C’est un miroir aux alouettes », affirme Mme Pelchat. Déjà, dans les regroupements d’établissements existants, les déficits hospitaliers sont venus gruger les budgets des services de  première ligne, des services à domicile, ainsi que des services préventifs et sociocommunautaires. Il faudrait être d’une naïveté incroyable pour croire que dans les quelque 80 instances locales, cette situation ne sera pas appelée à se généraliser lorsque l’instance locale se trouvera coincée entre un déficit hospitalier et la Loi sur l’équilibre budgétaire. Il est bien connu que les hôpitaux ont une pression budgétaire supérieure aux autres catégories d’établissements en raison de leurs contraintes technologiques et de l’augmentation du coût des médicaments.

Pour la Coalition, il ne fait aucun doute que les promesses du ministre ne pourront être respectées qu’à court terme et que ce ne sont pas des garanties suffisantes. Que restera-t-il de ces engagements dans cinq ans ? « La protection des budgets, nous n’y croyons tout simplement pas ».

Une «canadianisation» inacceptable du
 système sociosanitaire québécois

Des observateurs d’un peu partout dans le monde sont venus étudier le système québécois de santé et sa spécificité : les CLSC. Au Canada anglais, les CLSC font l’envie. M. Roy Romanow, président de la Commission Royale d’enquête sur les services de santé au Canada, encensait cette particularité québécoise. Et pourtant, le gouvernement du Parti libéral se propose de mettre un terme à ce projet d’approche globale et multidisciplinaire de la santé et des services sociaux adopté par le Parti libéral en 1971 et confirmé à nouveau par le Parti libéral en 1991.

Le système québécois se caractérisait également par des établissements  de première ligne que sont nos CLSC et les centres de santé qui desservent présentement une population locale de 50 000 personnes en moyenne. Avec les réseaux locaux, le bassin de desserte pourrait atteindre 200 000 personnes. La proposition ministérielle nous mène à cent lieues d’une approche communautaire à taille humaine et de la conception de ce que signifie des services de proximité, soit les fondements mêmes des réformes libérales antérieures.

Ce qui est proposé, c’est ni plus ni moins qu’une canadianisation du système québécois. Après la réforme Couillard, le système de santé québécois sera en tous points conforme au modèle canadien où la mission curative et médicale domine, où les services sociaux ne sont pas intégrés et où les communautés ne peuvent compter sur un réseau public de première ligne, à mesure humaine et  bien organisé comme celui des  CLSC.

Un rappel historique est nécessaire

La mise à mort des CLSC constitue une rupture brutale avec ce que cette expérience historique a apporté de meilleur à la société québécoise dans le domaine de la santé. Dans les années soixante, il faut se rappeler que l’hôpital constituait alors le centre névralgique du système avec comme conséquence : une vision hégémonique de son rôle dans la société, une approche de la santé réduite au curatif, une « culture de l’urgence » abusive et inefficace, souligne Mme Lorraine Guay, militante active dans la mise en place dans les premiers CLSC de Montréal.

« Il faut se rappeler que les médecins travaillaient seuls dans leurs cabinets privés. Il faut surtout se souvenir que la population était complètement écartée de toute implication dans  les orientations et les pratiques du système. La décision de M. Couillard nous ramène exactement à la situation qui prévalait AVANT la Révolution tranquille », insiste-t-elle.

Les CLSC sont nés, dans la foulée des cliniques populaires des années soixante, pour insuffler une nouvelle vision de la santé, un nouveau mode de dispensation des soins, une nouvelle configuration des rapports entre population, professionnels et gestionnaires et entre les institutions elles-mêmes. Ils ont misé sur la participation des citoyens et citoyennes, sur un projet médical dynamique axé sur le préventif autant que le curatif, sur le travail interdisciplinaire, sur l’organisation communautaire sachant bien que les causes des maladies sont étroitement liées aux conditions socio-économiques et pas seulement aux virus !

Une réforme à l’encontre des propositions de l’OMS

La réforme réingénériale de M. Couillard va à l’encontre des grandes orientations prônées par l’Organisation mondiale de la Santé en matière d’organisation des systèmes de santé. Depuis plusieurs décennies déjà, l’OMS appelle pays développés et pays en développement à investir massivement dans la première ligne, dans des soins de base de qualité, dans une participation des communautés à l’orientation des services. 

D’innombrables colloques internationaux faisant écho à d’innombrables recherches sur la question ont appelé les gouvernements à solidifier la première ligne, à mettre en place des structures locales simples, facilement accessibles, à taille humaine, participatives…à mettre en place des CLSC quoi ! Nous y reviendrons un jour, forcément, mais après un long détour dont on commence à peine à entrevoir le prix collectif, conclut Mme Guay.

 
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