Le 21 janvier 2001 – Même si la Coalition Solidarité Santé partage les objectifs de consolider les services de première ligne, d’instaurer une médecine familiale et d’offrir aux personnes en perte d’autonomie de meilleurs services à domicile, elle doute toutefois que les propositions mises de l’avant par la Commission Clair permettent réellement d’atteindre ces objectifs.
La Coalition estime en effet que l’expérience douloureuse du virage ambulatoire et même celle de l’assurance-médicaments nous ont appris qu’on ne peut retenir que les grands principes tout en faisant fi du cadre général proposé ou en ignorant les modalités d’application. Or, c’est exactement là où les propositions de la commission exigent que l’on procède à une sérieuse lecture critique, indique Marie Pelchat, porte-parole de la Coalition Solidarité Santé.
Le cadre général proposé par la Commission est une ouverture à la privatisation
La Coalition s’inquiète vivement que la Commission propose de remettre en question les principes d’universalité, d’accessibilité, de gratuité, d’intégralité et le caractère public contenus dans la Loi canadienne de la santé. Ces principes constituent des remparts importants contre un système à deux vitesses et sont le reflet des attentes de la population à l’égard du système de soins de santé. La Commission exprime sa volonté de maintenir un système basé sur des principes de solidarité et d’équité, mais cela ne risque-t-il pas de demeurer du domaine des bonnes intentions si les principes de la loi canadienne sont abandonnés ou affaiblis, questionne la Coalition ?
On ne peut dissocier les principales recommandations de la Commission de celle de revoir annuellement le panier de services assurés. La population n’ignore pas que depuis 1982, toutes les révisions du panier de services assurés se sont soldées par des désassurances de services : physiothérapie, soins dentaires des enfants de 10 à 16 ans, soins optométriques, etc.
Comme la Commission prétend que nous sommes dans un contexte, dit de vulnérabilité fiscale, il y a fort à parier que les prochaines révisions se solderont, elles aussi, par des désassurances. Or, les désassurances ont pour effet de compromettre l’accès aux services pour les population à faible revenus et ont toujours ouvert plus grande la porte aux assureurs privés. Comment consolider les services de première ligne si la gamme de services s’atrophie ? Comment favoriser l’accès à une médecine familiale sans garantir une gamme complète de services aux familles, peu importe leur revenu ?
Même si la Commission se défend d’avoir opté pour une approche comptable des services sociaux et de santé, il est légitimement permis d’en douter. La proposition d’un principe de subsidiarité, autrement dit de sous-traitance, laisse transparaître la préoccupation de la Commission de réduire, à tout prix, les coûts des services avant d’en garantir l’accessibilité et la qualité pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens. Cette proposition de la commission fait fi du fait qu’en dehors des établissements publics, la porte est grande ouverte à la facturation d’une panoplie de frais connexes (comme dans les cabinets privés) ou à la tarification des services (comme dans le cas des services d’aide domestique). Cette approche comptable transpire également lorsque la Commission propose que les régies régionales gèrent selon un modèle d’affaires inspiré du privé… Un système public de santé répond à d’autres critères d’efficacité qu’une usine, prétend la coalition.
Toutes ces craintes se trouvent exacerbées par la recommandation de la Commission à l’effet que le gouvernement établisse des limites au niveau des dépenses publiques consacré à la santé. Alors que le gouvernement compte résolument réduire son assiette fiscale par la réduction des impôts, établir un pourcentage fixe aux dépenses consacrées à la santé signifierait de toute évidence, des coupures dans le budget de la santé et des services sociaux. Une autre approche serait de consacrer un pourcentage fixe du produit intérieur brut à la santé. Elle n’est guère plus porteuse d’avenir que la précédente dans la mesure où elle signifierait des réinjections en période de croissance économique et des coupures dans les périodes de ralentissement économique. Ces recommandations présupposent que le gouvernement aurait une responsabilité limitée en regard de la santé des citoyennes et des citoyens alors qu’au contraire, nous plaidons qu’il s’agit d’une responsabilité étatique incontestable dans une société aussi riche que la société québécoise.
La caisse d’assurance autonomie
Même si les médicaments représentent l’élément le plus inflationniste du système québécois de santé et de services sociaux avec des hausses de 15 % par année, la Commission s’en est peu préoccupée. Ce laisser-faire sera pourtant lourd de conséquences sur les générations actuelles et futures, constate la Coalition.
Il est par ailleurs évident que les économies possibles du côté des médicaments auraient permis de financer en grande partie un système public de services à domicile sans forcer le création d’une caisse spéciale. L’an dernier seulement, le coût des médicaments remboursés par la RAMQ a augmenté de 181 millions.
La Commission Clair recommande non seulement la création d’une caisse spéciale mais elle précise également qu’elle serait financée par une contribution fiscale et obligatoire sur les revenus individuels de toute provenance. Ce faisant, la commission indique que les personnes assistées sociales, celles au salaire minimum, les aîné-es bénéficiant du supplément de revenu garanti seraient aussi mis à contribution, ce contre quoi s’insurge la Coalition.
Les modalités prévues par la Commission indisposent d’autant plus qu’elles font porter le fardeau uniquement sur les individus et même les plus pauvres, sans égard au fait que le gouvernement du Québec a réduit la contribution des employeurs au Fonds des services de santé. Cette nouvelle taxation, en dehors du système d’impôt sur le revenu, sera de surcroît largement régressive.
Les Groupes de médecine familiale
Les modalités de la mise en place des Groupes de médecine familiale (GMF) sont largement inspirées d’un modèle proposé de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), à la suite de travaux réalisés par l’entreprise SECOR. Il est fort éclairant de savoir de la proposition SECOR est inspirée par une logique d’affaires.
« Les médecins préfèrent que leur cabinet soit considéré comme une entreprise plutôt que comme un organisme public. Mais pour obtenir cette reconnaissance, ils doivent se comporter comme s’ils géraient une compagnie (…) Il ne s’agit pas pour le médecin de modifier son rôle professionnel centré sur la relation individuelle médecin- patient mais plutôt d’en acquérir un second, celui d’entrepreneur (…) Parallèlement, la firme SECOR juge nécessaire d’améliorer la rentabilité des cliniques », peut-on lire dans la livraison de mars 2000 de l’organe de la FMOQ, Le médecin au Québec.
Le concept même de médecine familiale n’est-il pas dénaturé quand on le subordonne à des impératifs de rentabilité accrue, questionne la Coalition ?
La Coalition craint également que de tels groupes de médecins entrepreneurs ne viennent affaiblir davantage le réseau des CLSC puisque les médecins des GMF seraient à même de drainer les maigres ressources humaines et financières des CLSC, selon la proposition de la commission.
La commission favorise l’inscription des citoyens à un Groupe de médecine familiale. Un pré-paiement variant entre 1500 $ et 2000 $ par individu a été retenu pour garantir une certaine stabilité financière aux cabinets privés. Or, cette formule n’est pas sans rappeler celle des HMO américains qui fonctionnent à peu près sur la base des mêmes paramètres. Nous savons que cette formule a entraîné un phénomène d’anti-sélection (on rejette les clients potentiellement trop malades et conséquemment trop coûteux pour favoriser une clientèle moins à risque). Elle conduit au rationnement des services, car les médecins sont incités à limiter les examens et les tests plutôt que de courir le risque de terminer l’année financière avec un déficit d’opération ou de baisser le niveau de leurs bénéfices.
Les cliniques affiliées
Une recommandation du Groupe Arpin sur la complémentarité du secteur privé refait surface dans le rapport de la commission. Les cliniques, dites affiliées, ne sont en fait que des hôpitaux privés fonctionnant en marge des hôpitaux publics. L’expérience albertaine démontre que les chirurgies mineures qui y sont réalisées coûtent plus cher que les mêmes chirurgies réalisées dans le réseau public. Ces cliniques offrent des services bas de gamme pour les fonds publics qui leur sont consentis et offrent systématiquement à leur clientèle un service amélioré, contre un léger supplément bien sûr.
De surcroît, loin de faire diminuer les listes d’attente, elles ont provoqué en Alberta des engorgements en drainant une partie du personnel médical et infirmier disponible dans les établissements publics. Force est de constater que nous fermons déjà des lits en raison notamment d’une pénurie d’infirmières, accentuerons-nous la crise en donnant suite à cette recommandation ?
Des reculs démocratiques
Malgré les enjeux évidents que posent les recommandations de la Commission pour les citoyennes et les citoyens du Québec, il est déplorable que la Commission ait également mis de l’avant des recommandations qui vont dans le sens de l’affaiblissement des mécanismes démocratiques dans le réseau de la santé et des services sociaux. Citons la proposition sur la réforme des conseils d’administration des régies régionales où toutes les personnes qui y siégeraient dorénavant devraient être nommées par le gouvernement. On précise même que la députation y serait représentée.
La création d’un Prix-V
Depuis plusieurs années, la Coalition Solidarité Santé est fortement préoccupée par la place toujours plus grande occupée par le secteur privé dans le système québécois de santé et de services sociaux et les reculs du droit à la santé pour toutes et tous qui en découlent. Même sous ses couverts nobles, le Rapport de la Commission n’atténue en rien nos appréhensions que ce mouvement de marchandisation ne se consolide voire même ne s’accentue.
C’est pourquoi, les membres de la Coalition ont décidé lors de leur assemblée du 18 janvier dernier, de procéder à la création d’un Prix-V. Il sera remis périodiquement à compter des prochaines semaines aux groupes ou individus qui, dans leur catégorie, auront particulièrement contribué à la privatisation des services de santé.
Les membres de la coalition se proposent également d’initier, au cours des prochaines semaines, des actions plus concrètes pour informer la population et faire connaître leur vive opposition à l’effritement des services publics de santé et du droit à la santé.
Fondée en 1992, la Coalition Solidarité Santé compte parmi ses membres 36 organisations syndicales, organismes communautaires et comités de citoyens.