En établissant la règle des 15 ans, le gouvernement québécois voulait favoriser et soutenir les investissements en recherche et développement (R&D) des compagnies pharmaceutiques en s’obligeant à rembourser pendant 15 ans le prix (plus élevé) d’un médicament d’origine, même si une version générique (équivalente et moins chère) existait sur le marché.
Si le calcul du gouvernement a semblé donner des résultats positifs pendant quelques années, en 2006, une étude sur dix compagnies pharmaceutiques, par Léo-Paul Lauzon et Marc Hasbani, a démontré que les pharmaceutiques dépensaient 2,6 fois plus en marketing et en frais administratifs qu’en recherche et développement (739 G$ contre 288 G$), et qu’elles versaient à leurs actionnaires 110% de ce qu’elles investissaient en R&D (317 G$).
Aux États-Unis, les sociétés pharmaceutiques consacrent quelque 61 000$ par médecin à la promotion et nous pouvons supposer que des budgets proportionnels existent aussi pour influencer les médecins au Canada.
Quant à la nouveauté, selon la revue Prescrire, entre 1996 et 2006, seulement 0,2 % des nouveaux médicaments mis sur le marché en France présentaient une « innovation majeure sur le plan thérapeutique dans un domaine où il n’y avait aucun traitement auparavant ». Mais 100% de ces «nouveautés» se vendaient beaucoup plus cher que leurs versions équivalentes plus anciennes.
Si la règle des 15 ans a pu favoriser pendant un temps l’investissement en R&D, elle a malheureusement incité les compagnies à mettre au point des imitations de médicaments existants qui génèrent plus de ventes grâce à l’efficacité des campagnes promotionnelles plutôt qu’à l’efficacité des médicaments eux-mêmes.
Ainsi, des prix plus élevés et des hausses régulières des prix des médicaments ont davantage financé le marketing et les actionnaires que la recherche de nouveaux médicaments.
Et tout cela a favorisé l’explosion du coût des médicaments vécue au Québec dans les 10 dernières années, avec comme résultats que :
- de 1996 à 2005, le coût des médicaments a augmenté de 14 % par année; il en coûte actuellement 7 G$ par année à la RAMQ pour rembourser les médicaments prescrits, avec un déficit récurrent de 2 G$;
- le Canada est le second pays le plus cher au monde quant aux prix de détail de ses médicaments prescrits; juste au Québec, nous payons 38% de plus pour nos médicaments que les autres citoyens de pays développés!
Ajoutons à cela que la R&D est un secteur en pleine mutation à l’échelle mondiale, que les modèles d’affaire changent et que les compagnies sous-traitent de plus en plus leurs fonctions de R&D, il est donc clair que la règle de 15 ans n’était pas plus adaptée à ce nouveau contexte. Le gouvernement l’a très bien compris, en consacrant dans son dernier budget des sommes pour des crédits d’impôts et autres mesures plus ciblées.
C’est par l’adoption d’un régime entièrement public d’assurance médicaments et d’une politique du médicament, incluant un mécanisme rigoureux d’évaluation pharmaco-économique des médicaments (comme en Colombie-Britannique), que le gouvernement pourrait offrir à l’industrie pharmaceutique une solide incitation financière à produire davantage de médicaments réellement innovateurs, tout en diminuant les coûts pour le Trésor public.