Ce soir, nous avons essayé de comprendre les raisons qui ont amené le gouvernement de l’époque à fusionner des établissements de santé qui assumaient plutôt correctement leur mandat, pour en faire de très gros établissements où les diverses missions ont été fusionnées tant bien que mal, mais surtout mal, et en précisant un nouveau mandat : la mise sur pied de réseaux locaux de services.
En 2004, le Ministre Couillard avait dit que le privé ne pouvait concurrencer le public parce que la société québécoise n’avait pas permis que se développe un système privé fort comme aux USA. Il avait dit aussi que sa réforme prendrait dix ans à jouer son rôle.
À quel rôle faisait-il allusion? Vous vous souvenez du slogan du gouvernement Charest : le privé au service du public?… En fait, ce fut exactement le contraire : utiliser le public au service du privé, les ressources publiques pour le développement du privé.
Ce soir, on a entendu des gens nous parler :
– d’hospitalo-centrisme, au niveau des budgets, des territoires, du curatif, des médicaments, de la technologie;
– d’organisation du travail où le médecin est au centre avec son hôpital. ou c’est l’hôpital qui est au centre avec ses médecins, c’est selon;
– de la promotion de la santé et de la prévention qui ont été perdantes;
– du fait que nous savions comment faire des équipes multidisciplinaires mais que nous ne les avions pas toujours faites;
– qu’il y a confusion chez le personnel, et plus encore chez les personnes soignées sur qui fait quoi, on ne le sait pas toujours;
– qu’il y a des résultats variables selon les régions avec des bons et des mauvais coups;
– que les critiques que nous faisons du réseau sont utilisées contre nous par les tenants de la privatisation;
En fait, selon qu’on est un gestionnaire ou ex-gestionnaire qui avait des objectifs à défendre, un citoyen qui a besoin de soins et services et qui ne sait plus où s’adresser pour les trouver, un ex-employé qui a pris sa retraite à temps et qui compare maintenant avec avant, un employé actuel du réseau qui se fait presser comme un citron jusqu’à être sur le bord d’une dépression, bref, selon qui nous sommes, nous avons des points de vue différents sur ces fusions.
Mais une chose semble tous nous rejoindre : entre ce qu’on nous avait dit, les objectifs qu’on nous avait présentés, et ce qui en a résulté, il y a une marge plutôt importante, sinon, une contradiction flagrante.
Et on pourrait risquer une explication.
Au ras des pâquerettes, ce qu’on voit, c’est que l’aboutissement de cette fusion a été la mise sur pied des réseaux locaux de services, sorte d’excroissances artificielles du réseau public. Ces réseaux locaux de services sont devenus des réseaux parallèles de services, composés de privé, d’économie sociale et de communautaire, pouvant concurrencer le secteur public dans l’accomplissement des soins et services, tout en rongeant de plus en plus les budgets publics. Les immenses CSSS ont utilisé les réseaux locaux de services pour réduire les soins et services que leurs composantes assumaient auparavant, et en transférer graduellement la prestation en sous-traitant des organismes privés, d’économie sociale et communautaires.
N’oublions pas que d’autres lois ont été adoptées à peu près à la même époque pour s’arrimer avec les fusions d’établissements :
• la loi 30 qui fusionnait les accréditations syndicales, en regroupant le personnel en 4 grands groupes;
• la loi 31, qui modifiait l’article 45 du code du travail pour faciliter la sous-traitance et la privatisation,
• puis un peu plus tard la loi 33 autorisant des chirurgies au privé.
10 ans plus tard, on y est : force est de constater qu’on a utilisé les ressources du public au service du privé. On a ainsi sous-traité des services d’entretien, de buanderie, d’alimentation, de fournitures médicales, des services à domicile, des chirurgies, des agences de personnel, et on a utilisé des PPP pour des hôpitaux, dans l’hébergement, etc. En dix ans, la sous-traitance, la privatisation, l’économie-socialisation, la communautarisation et les PPP ont pris place et sont mieux implantés partout dans notre système public de santé et de services sociaux.
Et 10 ans après, pour nos gouvernements, PLQ-PQ confondus, il est temps de passer à une autre étape, et renforcer le tout pour que ça se développe encore plus.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement Charest, au printemps 2012, avait mis sur pied le Groupe d’experts sur le financement par acte. Dès son élection, à l’automne 2012, le PQ s’est empressé de confirmer le mandat de ce comité, le renommant au passage Groupe d’experts sur le financement axé sur les patients.
Ce mode de financement est l’instrument budgétaire par lequel va se poursuivre la sous-traitance, la privatisation, et le développement du système privé de soins et services.
Parce que… Quand on établit un prix pour chaque chose, qu’on met en concurrence les prestataires et leurs services, que le moins cher devient le meilleur, qu’on vise le volume plutôt que la qualité, quand le patient est vu comme un « revenu », ce n’est plus de la santé, c’est un marché!
Et l’assurance autonomie va permettre d’enraciner plus profondément les principes et lois du marché en autorisant et en rémunérant à contrat des dizaines et des dizaines de prestataires différents, tant pour les services professionnels de base que pour les soins à la personne et l’aide domestique.
Bien sûr, on nous dira qu’il s’agit de la poursuite du développement des réseaux locaux de services, mais ce sera le privé sous toutes ses formes qui grugera de plus en plus les services accomplis par le personnel du secteur public, et s’accaparera du budget de la santé pour son propre profit.
Et les patients, eux, qui seront vus dorénavant comme des « revenus »?… Ils devront débourser de plus en plus de leurs poches pour obtenir des soins et services nécessaires au maintien de leur état de santé, ou alors s’en remettre à leurs proches aidantes.
Ce soir, en voulant en faire le bilan, nous devons constater que les fusions ont été l’élément central d’un vaste plan d’utilisation des ressources de notre système public de services sociaux et de santé pour développer les services privés, pour que les dizaines de milliards de $ du budget de la santé ne soient plus à l’abri du monde privé des affaires.
Ce soir, nous n’avons peut-être pas de solutions concrètes à proposer. Mais ce soir, nous devons être conscients plus que jamais qu’il nous faut alarmer nos concitoyennes et concitoyens : il y a plus qu’un loup dans la bergerie, et le reste de la meute attend à la porte.
En sortant, vous trouverez sur la table notre manifeste pour un système public de services sociaux et de santé. Prenez-le, lisez-le, passez-le autour de vous et discutez-en.
Et au moment où tous les partis sillonnent le Québec, plus que jamais, nous devons leur répéter que la santé, c’est pas une occasion d’affaires!
La santé, c’est un droit.
Et au Québec, comme peuple, on a déjà fait ce choix!
Jacques Benoit,
Coordonnateur de la Coalition solidarité santé
Résumé des présentations et conclusions des panélistes.
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