Monsieur le Commissaire,
J’ai assisté le 30 mai dernier à une rencontre organisée par vos services intitulée « Faites entendre votre voix : devrait-on prendre moins de médicaments pour participer à la réduction des dépenses en santé? »
Présenté comme un débat public, s’inscrivant dans différentes activités de consultation relatives au médicament, ce débat ouvert à tous proposait une table ronde où échangeaient six intervenants actifs dans l’univers du médicament :
- Deux représentants des consommateurs de médicaments, i.e. les malades ou leur association;
- Une représentante du Collège des médecins du Québec;
- Une prof de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal;
- Une économiste et docteure en administration de la santé;
- Et un représentant des compagnies pharmaceutiques.
En me rendant sur place, je me demandais pourquoi votre thème contenait deux questions: « devrait-on prendre moins de médicaments », et « que devrait-on faire pour la réduction des dépenses publiques ». Déjà, prises séparément, celles-ci auraient eu de quoi meubler plus d’une soirée de discussion.
Par exemple, pour la première, devrait-on prendre moins de médicaments, la réponse vient aisément : oui, toujours le moins possible de médicaments. Les médicaments, c’est curatif, ils sont là quand on n’a rien d’autre pour soigner la maladie. Et pour en prendre le moins possible:
- il faut aller du côté préventif, c’est-à-dire améliorer les conditions de vie, qui sont les conditions de santé : un revenu décent, un logement convenable, une saine alimentation, un environnement sain, de bonnes habitudes de vie, bref, toutes conditions permettant de rester en bonne santé;
- il faut aussi cesser de tout médicamenter : la santé mentale, par exemple, est très dépendante de facteurs sociaux et, conséquemment, ne se soigne pas qu’avec des médicaments; ou encore l’exemple de la prescription de Ritalin chez les enfants un peu turbulents qui soulève beaucoup d’opposition;
- il ne faut pas non plus permettre la publicité sur des médicaments : l’objectif de la publicité n’est pas d’informer sur le comment ne pas être malade, mais de vendre plus de médicament.
On le voit bien, juste avec cette question, nous aurions pu avoir un excellent débat.
Que devrait-on faire pour la réduction des dépenses publiques aurait également pu soulever son lot de questions différentes qui sont toutes reliées aux dépenses publiques. Mais si vous vouliez, M. le Commissaire, ne vous attarder qu’au chapitre du coût des médicaments, pourquoi en avoir traité que sous le chapeau de la trop grande consommation? Bien avant la surconsommation, les principaux problèmes du coût des médicaments sont plutôt l’organisation du régime hybride en place depuis 1996 au Québec, ainsi que les politiques de soutien à l’industrie pharmaceutique par des brevets qui durent 15 ans, de même que la politique de prix démesurément trop onéreuse pratiquée par les pharmaceutiques elles-mêmes.
J’avoue également avoir été surpris qu’un représentant de cette industrie pharmaceutique soit sur le panel de présentateurs pour nous expliquer en quoi ça coûte cher de produire un médicament, pourquoi ils les vendent si chers, leurs codes d’éthique et d’autorégulation! J’avais l’impression d’entendre le loup nous expliquer le meilleur système de sécurité pour la bergerie!
J’aurais plutôt souhaité voir sur ce panel Marc-André Gagnon, professeur à l’université de Carleton et chercheur pour l’Université Harvard, qui a produit en 2010 une étude solide argumentant pour un régime universellement public d’assurance médicament (RUPAM). Son étude propose 3 solutions différentes ayant pour base un RUPAM, seul ou accompagné d’autres mesures. Les résultats, pour le Canada, seraient des économies annuelles de 3 G$ dans le cas du seul RUPAM, de 4,5G$ si accompagné de quelques mesures modérées, et de 10,7G$ si on abrogeait tous les privilèges consentis aux pharmaceutiques. Pour le seul Québec, on parle d’économies pouvant se situer entre 1 et 3 G$ par année.
M. le Commissaire, si vous voulez vraiment, permettre aux citoyennes et citoyens d’être mieux informés, de comprendre les enjeux, les divers points de vue, et de pouvoir à la fois questionner et en discuter, il faut mettre sur la table les différentes solutions qui sont préconisées et s’assurer de la présence des bonnes personnes pour les présenter.
J’ose espérer, M. le Commissaire, que vous corrigerez le tir pour les prochaines soirées débat que vous tiendrez sur le sujet, que vous vous assurerez que les solutions sérieuses préconisées par des chercheurs reconnus soient mises en débat, et que des représentants non pertinents cèdent leur place sur le panel d’invités.
Comprenons-nous bien, M. le Commissaire : je ne dis pas qu’il faut exterminer les loups! Mais de là à leur confier ma santé…
Jacques Benoit
Coordonnateur de la Coalition solidarité santé