Nos ministres des finances fédéral et provincial s’apprêtent à déposer dans les prochaines semaines leur budget 2012-2013. Pourtant, aucun d’eux ne parlera d’une solution qui leur rapporterait beaucoup, tout en leur permettant de faire le ménage dans leur cour. Nous voulons parler d’un Régime universel public d’assurance médicament (RUPAM). Voyons cela de plus près.
Depuis 15 ans, l’usage des médicaments a décuplé, ceux-ci ne servant désormais plus seulement à guérir, mais aussi bien à prévenir les maladies et remplacer des chirurgies. On en consomme ainsi de plus en plus pour notre santé. Parce qu’on leur consacre quelque 6 milliards de dollars chaque année au Québec et qu’on supporte la croissance du coût des médicaments la plus forte au monde, le contrôle du coût et des dépenses en médicaments doit devenir une cible prioritaire pour la santé de nos finances publiques!
Dans un récent échange avec Denis Lalumière, sous-ministre adjoint à la santé et services sociaux du Québec, celui-ci référait à un rapport datant de décembre 2001 d’un Comité qui avait étudié la pertinence d’un RUPAM. Nous aurions souhaité que son information de référence soit plus récente pour tenir compte du fait que la situation a beaucoup changé depuis 2001. Ce Comité recommandait de privilégier « plutôt le maintien du caractère mixte, public-privé, du régime actuel » pour diminuer « l’impact sur les finances publiques » de même que pour permettre « aux assurés des régimes privés de se donner une protection sur mesure en fonction de leurs besoins. »
Vraiment ? Force est pourtant de constater que c’est plutôt l’existence de notre régime hybride public/privé qui a un impact énorme sur les finances publiques :
- avec un déficit récurrent annuel de 2 G$, que le gouvernement comble par une augmentation des primes et par les impôts, les dépenses en médicaments et en services pharmaceutiques de la RAMQ représentent le deuxième poste de dépenses le plus important après celui des services médicaux;
- de 1996 à 2005, le taux de croissance annuel du produit intérieur brut (PIB) a été de 4,9%, celui des dépenses du Ministère de la Santé (MSSS) de 5,5% et celui du programme des services pharmaceutiques et des médicaments de la RAMQ de… 14,1%;
- en 12 ans, le coût de la prime du régime public a bondi de 242 %, avec une croissance des dépenses de l’ordre de 8 % par an;
- dans les régimes privés d’assurance collective, la croissance des coûts est de 10% à 15%, et les frais administratifs y sont quatre fois plus élevés que dans le régime public (8% contre 2%).
Quant à la protection « sur mesure en fonction de leurs besoins » : à quels besoins le Comité faisait-il référence? Peut-on décider de prendre tel médicament pour telle condition et de ne pas soigner telle autre ? Ce qui est clair par contre, c’est que le coût des assurances collectives va de pair avec la croissance du coût des médicaments.
Marc-André Gagnon, professeur à l’Université Carleton et chercheur pour l’Université Harvard, affirmait en septembre 2010 que « simplement en éliminant le gaspillage lié à l’assurance privée et par l’amélioration des choix thérapeutiques, un régime public universel permettrait aux Canadiens d’économiser 2,9 milliards $. À lui seul, le Québec économiserait près de 1 milliard $. »
Politique de santé ou politique industrielle?
Le Canada est le second pays le plus cher au monde quant aux prix de détail de ses médicaments prescrits. Le Canada paie ainsi 30% plus chers que la moyenne des pays de l’OCDE. Mais le Québec fait pire : nous payons ainsi 38% de plus pour nos médicaments que les autres citoyens de pays développés! C’est ainsi que, juste derrière les États-Unis (988$), le Canada dépense 735 $ par habitant, pendant que la Nouvelle-Zélande et l’Australie, qui ont des politiques d’achat de médicaments au plus bas prix, ne dépensent respectivement que 363 $ et 517 $ par habitant. Toujours selon Marc-André Gagnon, si on révisait de manière plus rationnelle les politiques industrielles qui accroissent artificiellement le prix des médicaments afin de supporter le secteur pharmaceutique, le Canada pourrait épargner 10,7 G$. À lui seul, le Québec économiserait plus de 3 G$.
Ces 10,7 milliards $ permettraient au fédéral de mieux financer la nouvelle entente sur la santé avec les provinces. Quant aux 3 milliards $ de Québec, ils effaceraient le déficit provincial et les compressions, et lui permettraient d’abolir la taxe santé, taxe injuste et inéquitable s’il en est une.
Un exemple de politique à abolir : la règle de 15 ans. Afin de créer un environnement d’affaires favorable à l’industrie, une règle dite « des 15 ans » oblige le gouvernement à rembourser pendant 15 ans le prix (plus élevé) d’un médicament d’origine, même si une version générique (et moins chère) est mise en marché. Le problème est que cette politique ne rapporte plus au gouvernement en retombées fiscales, le Conseil du Trésor admettant qu’en 2012, elle lui en coûtera 193 millions$ pour un retour de 37 M$ de l’industrie… Quant aux supposés investissements en R&D, une étude sur dix compagnies pharmaceutiques, par Léo-Paul Lauzon et Marc Hasbani, démontre que les hausses du prix des médicaments financent davantage le marketing et les actionnaires que la recherche de nouveaux médicaments
Parlant nouveauté, selon la revue Prescrire, entre 1996 et 2006, seulement 0,2 % des nouveaux médicaments mis sur le marché en France présentaient une « innovation majeure sur le plan thérapeutique dans un domaine où il n’y avait aucun traitement auparavant ». Mais 100 % de ces «nouveautés» se vendaient beaucoup plus cher que leurs versions équivalentes plus anciennes.
Oui, un régime universel public d’assurance médicaments apporterait autant d’avantages pour la santé de nos finances publiques que pour celle de notre population.
M. Bachand aime bien parler de sa révolution culturelle de l’utilisateur payeur. On souhaiterait plutôt une révolution du bon sens. Peut-on l’espérer le 20 mars?
Jacques Benoit, coordonnateur
Coalition solidarité santé