À vous toutes et tous, mesdames, messieurs les députéEs du Parti Libéral du Québec
Depuis la fin novembre, la Coalition solidarité santé a rencontré une vingtaine de députés, très majoritairement du PLQ, à leurs bureaux de circonscription pour échanger sur le projet de loi 10 (PL 10) du ministre Barrette modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales.
Lors de ces rencontres, nous avons pu constater que beaucoup de ces députéEs étaient peu ou pas informés sur le PL 10, sur ses impacts, sur les enjeux sous-tendus et les dangers qu’il entraîne, de même qu’à propos de l’opposition généralisée qu’il a soulevé en commission parlementaire.
Depuis le début, bien qu’ayant accepté techniquement le processus démocratique, le ministre Barrette a affirmé en commission parlementaire n’avoir besoin de personne ni de quelques études que ce soit pour savoir ce qu’il faut faire. Malgré le fait que la très grande majorité des composantes du réseau se soient opposées au PL 10, le ministre a fait fi des avis des experts du réseau et s’est entêté à maintenir son projet de loi. En débutant l’étude article par article, il a déposé 160 amendements pratiquement sans lien avec les préoccupations exprimées en commission parlementaire, mais ajoutant beaucoup d’éléments nouveaux, démontrant plutôt que son projet de loi était précipité et mal préparé. Comment un ministre peut-il prétendre posséder la vérité et décider ainsi, seul, à l’encontre de tous les experts, de l’avenir du réseau de santé et de services sociaux?
Et voilà maintenant que les médias annoncent l’imminence d’un bâillon pour forcer l’adoption du PL 10. Nous sommes totalement renversés par cette « urgence » et cette précipitation à adopter un projet de loi qui va pourtant bouleverser tout notre système public de santé et de services sociaux.
D’autant plus que les contradictions ne cessent de s’accumuler sur le contenu de ce projet de loi et sur le rôle qu’il est censé jouer dans la stratégie gouvernementale.
Un projet de loi qui ne permet pas d’atteindre les objectifs qu’il prétend viser
A. Le ministre Barrette a évoqué que son projet de loi allait diminuer la bureaucratie et économiser 220 M$
Avec les fusions de 2004 et la création des CSSS, le ministre Couillard avait promis la même chose, mais à la fin, on s’est retrouvé avec une augmentation de 30% des postes-cadres, et aucune économie. Au contraire, comme l’a continuellement répété en commission parlementaire Éric Caire, député de la CAQ: « Les budgets de la santé ont doublé dans les 10 dernières années! », ce qui concorde avec 10 ans de fusion des CSSS. Il nous semble évident que poursuivre dans cette voie en fusionnant à plus grande échelle encore ne fera qu’empirer la situation. De plus, le ministre n’a jamais démontré en aucune façon comment il atteindra ses cibles budgétaires et de gestion. Par contre, un rapport de la Direction de l’évaluation du MSSS datant de 2010 sur l’implantation des CSSS conclut qu’il ne faut pas rebrasser les structures actuelles sous peine de « contrecarrer les efforts effectués jusqu’ici, d’autant plus que les résultats pour la population commencent à peine à émerger. »
B. L’article 1 du projet de loi édicte que « La présente loi modifie l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux afin de favoriser et de simplifier l’accès aux services pour la population,… » :
Le ministre Barrette a pourtant déclaré en commission parlementaire :
« J’l’ai dit cent fois en trois semaines : le projet de loi 10, en termes d’accès à la première ligne, c’est pas ça qui va régler ça, c’est autre chose. Le « autre chose » est en train de se discuter et on verra bien où c’est que ça va finir. J’l’ai dit, là. J’peux pas être plus clair que ça : ne reprochez pas au projet de loi 10 de ne pas s’adresser à l’accès alors qu’il n’est pas fait, le projet de loi, pour s’adresser à l’accès. » Commission parlementaire, 12 novembre 2014, Intervention du ministre Barrette ( 00:24:37 à 00:27:05 )
Que devons-nous comprendre quand le ministre dit le contraire de son propre projet de loi, des propos pour le moins contradictoires répétés à ses collègues les députés, lors d’assises officielles dans les murs de l’Assemblée nationale?… Lors de l’étude article par article, un amendement a été déposé par l’opposition demandant de biffer à l’article 1 cette référence à l’amélioration de l’accès, mais le ministre a refusé, prétextant que ce serait comme lui demander « de s’autocondamner.»
Nous sommes encore moins rassurés en sachant que, dans ce projet de loi, le ministre s’approprie (1) de façon centralisée tous les pouvoirs de décision, tant macros que micros: les dangers de dérapage sont bel et bien présents. Le système public de santé et de services sociaux nous appartient à nous, Québécoises et Québécois, nous ne devons pas laisser personne œuvrer en tout ou partiellement à son érosion, sa destruction ou sa privatisation.
De plus, le rapport de la Direction de l’évaluation du MSSS de 2010 observait, après 6 ans de fusion :
«…peu de réallocations budgétaires sont constatées de la deuxième et de la troisième ligne vers la première, […] L’accessibilité aux services médicaux ne s’est guère améliorée… […] La surcharge de travail observée chez les gestionnaires dès le début de la fusion est toujours aussi importante près de quatre ans plus tard, sinon plus qu’avant. Un essoufflement est tangible. La distance entre les installations demeure, pour la moitié des sites, un facteur qui complexifie la gestion. Pour le personnel, cela peut aussi vouloir dire avoir plus d’un supérieur puisque la structure organisationnelle n’est pas encore totalement stabilisée. De plus, les membres du personnel évoquent toujours une perte de contact avec leurs supérieurs, ils se sentent isolés et peu soutenus. Dans plusieurs CSSS, la stabilité de l’organisation n’est pas encore gagnée et il règne toujours un sentiment de confusion à savoir « qui relève de qui et qui fait quoi ». »
Comment peut-on penser que des fusions à plus grande échelle encore vont améliorer cette situation?
C. Le premier ministre Couillard a déclaré que le PL allait supprimer « un niveau intermédiaire de gestion pour redonner l’argent pour les soins aux patients » (Radio-Canada, 3 février 2015)
Le premier ministre s’était prononcé de la même façon à l’Assemblée nationale cet automne. Or, en entrevue au même moment à Radio-Canada, à la question du chef d’antenne « Ainsi donc, vous allez pouvoir économiser 220 M$ que vous pourrez réinvestir dans les services directs? », le ministre Barrette s’était empressé de répondre : « Non, non, non, le 220 M$ ne sera pas réinvesti, il va servir à l’atteinte du déficit zéro! ». Voilà que ce n’est plus que le ministre qui dit une chose et son contraire, c’est tout le gouvernement!…
Sur la transparence de la démarche
Le Devoir du 2 février nous apprenait que « la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) refuse de rendre les données pertinentes disponibles aux chercheurs universitaires qui en font la demande… », ce qui faisait dire à l’un des chercheurs : « Dans le contexte des réformes, on a besoin d’informations rapides et fiables, c’est inacceptable ! […] Le droit du citoyen à la transparence est brimé. Pendant ce temps, nous n’avons pas de source neutre et fiable pour analyser les projets de loi 10 et 20. »
Devons-nous rappeler ce que le premier ministre déclarait dans son discours inaugural en mai dernier :
« Nous voulons que les Québécois sachent ce qu’il en coûte, qu’il s’agisse de construction, de services professionnels, d’investissements, de dépenses de déplacement, d’activités de formation ou de ressourcement. Les renseignements sur ces éléments de même que sur les coûts et les échéanciers des projets doivent être divulgués de façon proactive. »
De plus, nous devons tous être conscients que le PL 10 n’est qu’une des pièces, un des projets de loi (le PL 20, le PL 28, celui sur le financement du système de santé et sur de nouveaux modèles de collaboration avec les partenaires du réseau qui seront présentés ultérieurement), des projets de loi qui constitueront une réforme majeure qui modifiera profondément le système public de santé. Le ministre nous demande de juger à la pièce et de lui faire confiance pour le reste. À la lueur de toutes ces contradictions, et de tous les enjeux que cela soulève, ça nous est impossible : nous n’avons plus confiance.
Nous demandons au gouvernement de faire preuve de transparence.
Il nous apparaît plus que nécessaire que le gouvernement arrête la démarche en cours, rende publique l’entièreté de sa réforme que nous n’ayons pas à en juger à la pièce, et tienne de réelles consultations sérieuses avec les gens du milieu afin d’identifier des solutions durables qui permettront de maintenir et de développer notre système public de santé et de services sociaux.
Mesdames, messieurs les députéEs, vous avez une responsabilité envers la population qui vous a élus, cette population de toutes les régions, le peuple du Québec qui a investi et construit depuis quarante ans ce système public de services sociaux et de santé afin que plus jamais la santé des familles québécoises ne dépende de l’épaisseur de leur portefeuilles, et que les soins et services soient accessibles sur tout le territoire du Québec, quelle que soit la région habitée.
C’est pourquoi, mesdames et messieurs les députéEs, nous vous demandons :
– de ne pas voter de bâillon;
– de retirer le projet de loi n° 10; et
– de tenir de véritables consultations sur l’avenir du réseau public de santé et de services sociaux.
Respectueusement,
Jacques Benoit,
Coordonnateur
Coalition solidarité santé.
(1) Sur le site du SPVM , on trouve ceci: « La fraude consiste à mener malhonnêtement le public ou une personne à encourir une perte financière, à se départir d’un bien ou à fournir un service à la suite d’une tromperie, d’un mensonge, d’un abus de confiance ou de tout autre moyen semblable. Comment différencier un VOL d’une FRAUDE? La présence ou l’absence de consentement demeure le critère permettant de distinguer le VOL de la FRAUDE. Ainsi, il y aura VOL lorsqu’une personne s’empare d’un bien sans le consentement de la victime. [Et] il y aura FRAUDE lorsqu’une personne s’approprie un bien, un service ou de l’argent avec le consentement de la victime, mais que ce consentement a été obtenu par tromperie ou ruse ou tout autre moyen malhonnête. »