Discours de présentation du mémoire de la Coalition à la commission parlementaire sur le PL 10 du ministre Barrette.

Monsieur le ministre

Madame la ministre,

Messieurs, mesdames les députés,

 

Il y a moins d’un an, le 12 mars dernier, la Coalition solidarité santé tenait à Montréal une assemblée publique intitulée : «Les 10 ans des CSSS: quel bilan?». 

David Levine, ex-PDG de l’Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal, André-Pierre Contandriopoulos, professeur et chercheur à l’Université de Montréal, René Lachapelle, ex-organisateur communautaire du réseau et chercheur associé à l’UQO et Johanne Archambault, ex-responsable de l’Observatoire québécois sur les réseaux locaux de services, nous ont fait part de leur évaluation respective des fusions d’établissements, et des résultats obtenus au regard des attentes.

Nous croyons que le ministre Barrette aurait eu intérêt à procéder à ce type d’exercice d’évaluation des dix ans de fusions d’établissements de santé et de services sociaux: nous sommes fermement convaincus que le contenu de son projet de loi 10 s’en serait grandement ressenti. En effet, pour savoir où aller, il peut être utile de savoir d’où l’on vient. 

Alors, pour que nous en ayons tous et toutes une bonne idée aujourd’hui, nous allons vous partager plusieurs éléments découlant de cette assemblée.

Pour toutes les personnes présentes à l’assemblée, les fusions de 2004 n’ont pas rempli les promesses faites. Au contraire, elles ont plutôt causé les problèmes suivants :

a) Augmentation du pouvoir des médecins au détriment de la première ligne

b) Perte de proximité des services

c) Peu (ou pas) d’intégration ni de continuité des services, approche populationnelle trop complexe

d) Coupures et réductions de services

e) Détérioration des services sociaux

f) Des structures trop grosses et ingérables

g) Recul de la démocratie

h) Impact négatif sur le personnel et les relations de travail

i) Une gestion inappropriée: la Nouvelle gestion publique

j) Augmentation de la privatisation.

Ce dernier problème, l’augmentation de la privatisation, c’est le pire des résultats qu’on a vu se développer avec les fusions. On a utilisé les ressources du public au service du privé, contrairement à ce que disait le gouvernement libéral de l’époque.  On a ainsi sous-traité des services d’entretien, de buanderie, d’alimentation, de fournitures médicales, des services à domicile, des chirurgies, des agences de personnel, et on a utilisé des PPP pour des hôpitaux, dans l’hébergement, etc. 

En dix ans, la sous-traitance, la privatisation, l’économie-socialisation, la communautarisation et les PPP ont pris place et sont mieux implantés partout dans notre système public de santé et de services sociaux. 

On aurait été en droit de s’attendre à mieux de notre ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, M. Philippe Couillard, dans la défense de notre système public de soins et services.

Et si ce n’était pas le résultat escompté, il est encore temps de faire marche arrière : on ne peut faire la même erreur deux fois, parce que la deuxième fois, ce n’est plus une erreur, c’est un choix!

Or, le PL 10 qui nous est présenté, de par des fusions à plus grande échelle encore, ne fera qu’amplifier tous ces problèmes, privatisation incluse.

Le PL 10 consacre l’omnipotence du ministre et de son ministère, ce qui revient à dire que l’on consacre l’éloignement des milieux, le déracinement, et la méconnaissance des complexités du terrain. C’est la recette parfaite pour augmenter l’inefficacité, les erreurs et le gaspillage, sans diminuer les budgets consacrés à l’administration.

Pire encore, le PL nous présente la question d’une gouvernance efficace pour le réseau public de santé et des services sociaux comme un choix de mode de gestion ou un choix de gestionnaires, alors que ce qui importe d’abord, c’est de savoir dans quel cadre va s’opérer cette gestion : quelles orientations, quelles valeurs serviront de guide. Ce sont ces valeurs et orientations qui vont guider tout le travail et les choix qui se feront dans la gestion et dans la prestation des soins et services. 

Et si nous visons une réelle amélioration dans la gouvernance, c’est là qu’il faut débuter. 

Par exemple?

  • Par le respect des principes de la Loi canadienne sur la santé, soit la gestion publique, l’universalité, la transférabilité, l’intégralité et l’accessibilité, de même que l’interdiction de surfacturation et d’imposition de frais modérateurs;
  • Par la propriété publique de la prestation des soins et services sociaux et de santé, y incluant celle de tous les soins personnels intimes (comme les Activités de la vie quotidienne – AVQ); 
  • Par l’étanchéité absolue entre la pratique des médecins participants et celle des médecins non participants;

 

Et par encore d’autre valeurs et orientation.

Mais alors que dire d’un projet de loi qui ne représente, suivant les dires du ministre, qu’un morceau du puzzle?… 

Alors pour savoir à quoi ressemblera notre système de santé quand tous les morceaux du puzzle seront en place, il nous faut aborder certaines des pièces manquantes.

 

Le financement à l’activité : ce mode de financement est l’instrument budgétaire par lequel va se poursuivre la sous-traitance, la privatisation, et le développement du système privé de soins et services amorcé par les fusions de 2003 et qui se poursuivra avec le PL 10.

Parce que… Quand on établit un prix pour chaque chose, qu’on met en concurrence les prestataires et leurs services, que le moins cher devient le meilleur, qu’on vise le volume plutôt que la qualité, quand le patient est vu comme un «revenu », ce n’est plus de la santé, c’est un marché!

Le financement à l’activité ne fait qu’augmenter les coûts administratifs et la bureaucratie qui doit contrôler la saisie et la gestion des données, tout en n’apportant aucune nouvelle ressource dans les services. 

Ce type de financement a été appliqué au Royaume-Uni il y a déjà plus d’une décennie. Ce mode de financement a été accompagné d’un accroissement du recours au privé pour la prestation des soins, en invoquant le “libre choix du patient”. 

L’Association des consultants du Service national de la santé au Royaume-Uni (NHSCA) adressait une lettre à l’Association médicale canadienne en 2005 pour la dissuader d’emprunter cette voie au Canada. Leur lettre soulève nombre de problèmes qui découlent de cette orientation, des problèmes dont on se tient loin quand on veut maintenir et développer un système public de santé et de services sociaux. 

 

Les supercliniques : alors que nos constats sur le terrain amènent à dire qu’il y a recul de la première ligne et que

l’organisation et le développement d’équipes multi devrait être visés prioritairement, le ministre va ouvrir des supercliniques composées de soins et services spécialisés ne répondant en rien à cet objectif identifié comme prioritaire depuis plus de 40 ans.

« Dans ces supercliniques, les usagers pourront « payer » avec leur carte d’assurance-maladie! »… Cette phrase prononcée à plusieurs reprises par le ministre, et par le premier ministre, en campagne électorale et depuis lors, ne nous rassure pas du tout sur les orientations de « marché » à long terme du gouvernement; en effet, quand est-ce qu’on a entendu par le passé qu’en CLSC ou à l’hôpital, nous pouvions « payer » avec notre carte d’assurance maladie? Si le financement est axé sur le patient et suit le patient, la carte d’assurance maladie jouera un rôle clé.   Et le jour où le gouvernement diminuera les budgets, et le panier de services couverts, on remplacera la carte d’assurance maladie par la carte de crédit?

Avec les supercliniques, nous sommes encore plus loin d’un redéploiement des services sociaux pour travailler en amont et développer une réelle politique de santé. Nous sommes plutôt dans le développement d’une politique active de soutien financier pour consolider et développer le pouvoir de la médecine privée, principalement celle des médecins spécialistes. Le public au service du privé.

 

Enfin, on ne voudrait pas oublier l’Accord de libre-échange entre le Canada et l’Europe qui, comme tous les accords de libre-échange, comporte sa section marchés publics, section dans laquelle les gouvernements s’engagent à ouvrir au marché, donc à la sous-traitance et à la privatisation, les services publics, y compris en santé et services sociaux. Mais nous ne savons pas encore, comparativement au ministre et à son gouvernement, les liens qui pourraient unir plus intimement l’AÉCG et le PL 10.

 

Nous l’avons dit maintes et maintes fois : la santé n’est pas une occasion d’affaires. 

 

Monsieur le ministre, 

Madame la ministre,

Messieurs, Mesdames les députés,

C’est pour toutes ces raisons que nous rejetons le PL 10.

 

Merci.