SANTÉ ET AUSTÉRITÉ : UN REMÈDE EMPOISONNÉ Assemblée publique au Centre St-Pierre. Avec Alain Deneault, Médecins québécois pour le régime public (MQRP), la Coalition solidarité santé et l’ASSÉ.

SI LE PASSÉ EST GARANT DE L’AVENIR…

(Présentation de Jacques Benoit, coordonnateur de la Coalition solidarité santé)

(Vidéo de l’Assemblée)

Le 1er avril 2015 entrera en vigueur le PROJET DE LOI 10. Dans chacune des régions du Québec, des CSSS seront fusionnés avec d’autres établissements et l’Agence régionale pour créer d’immenses Centres intégrés de Santé et de Services sociaux (CISSS) ou Centres intégrés universitaires de Santé et de Services sociaux (CIUSSS). Des 182 établissements existants, le réseau public de santé et de services sociaux du Québec ne comptera plus que 34 établissements.

Le 1er avril 2015, le ministre de la Santé et des Services sociaux deviendra le principal décideur de toutes questions tant locales, régionales que nationales, il contrôlera tout, tant la prestation que le prestataire des soins et services, il nommera ou démettra toutes personnes responsables. Ainsi, que l’on travaille dans le réseau public de la santé, ou dans le milieu communautaire qui y collabore, ou qu’on soit simplement citoyenne et citoyen du Québec ayant droit à la santé et à des soins et services publics de santé, personne ne sera épargné. Le ministre dit qu’il sabre la bureaucratie, mais dans les faits, il coupe plutôt dans la démocratie.

Le 1er avril 2015, avec l’application du PROJET DE LOI 10, débutera la plus grande entreprise de privatisation du système public de santé et de services sociaux québécois. 

Parce que, comme on dit, « si le passé est garant de l’avenir,… »

Allons voir ce passé pas si lointain. 

Mais avant, nous tenons à vous faire cette mise en garde : toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants ou ayant existé pourrait ne pas être que pure coïncidence.

Nous sommes en 2003. Le 4 avril : élection du Parti Libéral à Québec; premier ministre : Jean Charest; ministre de la Santé désigné: Philippe Couillard.

6 mois plus tard, à l’automne : dépôt par le ministre Couillard du PL 25 qui fusionne les hôpitaux, les CHSLD et les CLSC pour former des Centres de Santé et de Services sociaux (CSSS), et créer les Agences régionales de SSS. Les objectifs poursuivis : améliorer l’accès aux services, diminuer la bureaucratie, faire des économies.

Le 19 décembre: imposition d’un bâillon pour l’adoption du PL 25.

2006, en juin : dépôt par le ministre Couillard du PL 33 permettant trois chirurgies en clinique privée et leur couverture par des assurances privées.

6 mois plus tard, le 13 décembre : imposition d’un bâillon pour l’adoption du PL 33.

2007 : par voie règlementaire, le ministre Couillard permet aux médecins de s’incorporer (DR INC). Ceux et celles qui changeront de statut légal changeront également de statut fiscal, pouvant être reconnus comme entreprise privée, et ayant ainsi accès à des déductions pour entreprises.

En juin 2008 : d’abord le 18, par décret, le ministre Couillard ajoute une cinquantaine de traitements médicaux ou de chirurgies pouvant être réalisées en cliniques privées spécialisées avec couverture d’assurances privées (Vous vous souvenez du PL 33 adopté sous le bâillon en 2006? de trois chirurgies, on passe à 50! Ça s’appelle avoir de la suite dans les idées).

Puis, une semaine plus tard, le 25 juin : toujours par décret, le ministre Couillard réduit de moitié le coût des permis de clinique privée spécialisée, avant de démissionner et de quitter la politique.

Moins de 2 mois plus tard, le 18 août : M. Couillard rejoint Persistence Capital Partners, une société qui se décrit elle-même comme « le seul fonds privé d’investissement au Canada dédié à développer des opportunités d’investissement offrant un fort potentiel de croissance dans le secteur de la santé ». M. Couillard parle d’acquisitions futures, pour PCP, de « cliniques d’imagerie médicale […] ou de cliniques médicales ou de chirurgie, comme la Clinique Rockland ».

Toujours en 2008, en décembre : devant une assemblée d’assureurs, le nouveau partner Couillard plaide pour le privé en santé, expliquant qu’on devrait «autoriser l’ouverture de plus de cliniques privées associées, permettre aux médecins québécois de pratiquer dans le privé et autoriser les Québécois à contracter des assurances privées pour des actes couverts par le régime public ». Il ajoute qu’«il n’y a rien de scandaleux à ce qu’on fasse des profits dans le secteur de la santé» et que « l’une des réalisations dont il [était] le plus fier en cinq ans passés à la tête du ministère de la Santé, c’est l’entente [de sous-traitance pour des chirurgies] conclue avec [la clinique médicale privée] Rockland MD ».

En 2010, un rapport d’évaluation du MSSS fait état qu’après six ans de fusion des CSSS, il n’y a pas d’amélioration d’accès aux services, que la surcharge de travail observée au début chez les gestionnaires est toujours aussi importante sinon plus, que la distance entre les installations complexifie la gestion, que la structure organisationnelle n’est pas encore totalement stabilisée, que les membres du personnel se sentent isolés et peu soutenus, que dans plusieurs CSSS, la stabilité de l’organisation n’est pas encore gagnée et qu’il y a un sentiment de confusion à savoir qui relève de qui et qui fait quoi.

De plus, presque tous les sites ont eu recours à des consultants ou à des firmes extérieures privées pour certains dossiers tel le soutien des cadres intermédiaires dans la gestion du changement ou la rédaction de documents stratégiques. 

Je le rappelle : cette évaluation est faite six ans après des fusions qui ont réunies sous une seule administration de CSSS en moyenne une dizaine d’établissements, et jusqu’à 18 pour le plus gros, celui de Laval.

Il y a un an presque jour pour jour, le 12 Mars 2014, la Coalition solidarité santé tenait ici même au Centre St-Pierre une assemblée publique pour faire le bilan de 10 ans des CSSS.  Les panélistes étaient David Levine, ex-PDG de l’Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal, André-Pierre Contandriopoulos, professeur et chercheur à l’Université de Montréal, René Lachapelle, ex-organisateur communautaire du réseau de la santé et chercheur associé à l’UQO et Johanne Archambault, ex-responsable de l’Observatoire québécois sur les réseaux locaux de services. 

Ces personnes nous ont fait part de leur évaluation respective des fusions d’établissements, et des résultats obtenus au regard des attentes.

Pour toutes les personnes présentes à l’assemblée, panélistes inclus, les fusions de 2004 n’ont pas rempli les promesses faites. Au contraire, elles ont plutôt causé les problèmes suivants :

1) Augmentation du pouvoir des médecins au détriment de la première ligne

2) Perte de proximité des services

3) Peu (ou pas) d’intégration ni de continuité des services, approche populationnelle trop complexe

4) Coupures et réductions de services

5) Détérioration des services sociaux

6) Des structures trop grosses et ingérables

7) Recul de la démocratie

8) Impact négatif sur le personnel et les relations de travail

9) Une gestion inappropriée: la Nouvelle gestion publique

10) Augmentation de la privatisation.

Dix problèmes pour dix ans de fusions.

Le dernier problème, l’augmentation de la privatisation, c’est le pire des résultats qu’on a vu se développer avec les fusions. On a utilisé les ressources du public au service du privé, contrairement à ce que disait le gouvernement libéral de l’époque (son slogan était « le privé au service du public »).  On a ainsi sous-traité des services d’entretien, de buanderie, d’alimentation, de fournitures médicales, des services à domicile, des chirurgies, des agences de personnel, et on a utilisé des PPP pour des hôpitaux, dans l’hébergement, etc. 

En dix ans, la sous-traitance, la privatisation, l’économie-socialisation, la communautarisation et les PPP ont pris place et sont mieux implantés partout dans notre système public de santé et de services sociaux. 

En 10 ans, les budgets de la santé ont doublé, et le nombre de cadres a augmenté de 30%.

Et le PL 10 que nous a présenté le ministre Barrette, de par ses fusions à beaucoup plus grande échelle encore, ne fera qu’amplifier tous ces problèmes, privatisation incluse. Alors, si ce n’est pas le résultat escompté, il est encore temps de faire marche arrière : on ne peut faire la même erreur deux fois, parce que la deuxième fois, ce n’est plus une erreur, c’est un choix!

D’ailleurs, deux organismes qui ont appuyé le PL 10 nous laissent croire que ce n’est pas une erreur. 

D’abord, la Fédération des Chambres de commerce du Québec (FCCQ), qui écrivait lors de la commission parlementaire : 

« …le secteur public doit envisager, de façon pragmatique, des alliances avec le privé,… La Fédération signale aussi que la sous-traitance dans la production d’un service public ou d’une de ses composantes peut être aussi bien livrée par une entité publique [que] par une entreprise privée, une coopérative ou une OSBL. De plus, d’un point de vue de développement économique, les entreprises peuvent profiter des marchés publics pour prendre de l’expansion. Dans les fonctions susceptibles de faire l’objet d’une sous-traitance concurrentielle, la Fédération indique notamment les fonctions auxiliaires (comme l’entretien ménager ou les services informatiques), les chirurgies d’un jour ou encore l’hébergement et les soins de longue durée pour personnes âgées. »

Elle ajoutait également que : 

« La modification de l’organisation et de la gouvernance du système de santé […] s’insère dans la révision générale de la fiscalité et des programmes de l’État, à laquelle la FCCQ participe activement. Tel que mentionné dans son mémoire présenté aux commissions Godbout et Robillard, la FCCQ rappelle que l’exercice de fond que le gouvernement du Québec est en train de mener doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur les rapports entre l’État et les entreprises. L’État peut en fait être un état-percepteur, à travers la fiscalité des sociétés; un état-soutien, à travers les programmes et mesures d’aide aux entreprises; ou encore un état-acheteur, à travers le choix des modes de production et de fourniture des services publics.

L’autre organisation ayant appuyé le PL 10, l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques (IGOPP), ajoutait ce conseil: 

Le modèle de gestion proposé par le projet de loi 10 […] est bien rodé dans le secteur privé où il porte le nom de «gouvernance stratégique » ou « gouvernance interne ». Toutefois, ce modèle de gestion est rare et méconnu dans le secteur public. Il faudra donc devenir clair et explicite quant à son fonctionnement et fournir aux dirigeants des CISSS la formation appropriée. »

Devrions-nous ajouter que le PL 10 consacre également l’omnipotence du ministre et de son ministère, ce qui revient à dire que l’on consacre l’éloignement des milieux, le déracinement, et la méconnaissance des complexités du terrain. C’est la recette parfaite pour augmenter l’inefficacité, les erreurs et le gaspillage, sans diminuer les budgets consacrés à l’administration.

Mais revenons à notre voyage dans le temps. 

En avril 2014, le 7 avril plus précisément : élection du Parti Libéral à Québec; premier ministre : Philippe Couillard; ministre de la SSS : Gaétan Barrette.

À l’automne (6 mois plus tard –encore?) : dépôt par le ministre Barrette du Projet de loi 10 fusionnant tous les établissements, les CSSS et l’Agence régionale SSS d’une même région (sauf exception) pour former d’immenses Centres Intégrés de Santé et de Services sociaux (CISSS) ou Centres Intégrés Universitaires de Santé et de Services sociaux (CIUSSS). Objectifs : Améliorer l’accès aux services, diminuer la bureaucratie, faire des économies!

7 février 2015: imposition d’un bâillon pour adopter le PL 10.

Et en février, Radio-Canada annonçait qu’après 7 années de DR INC, 45 % des 22 500 médecins du Québec (près de 10 250) sont incorporés, ce qui fait perdre plus de 150 M$ d’impôts aux gouvernements.

Alors, que devrions-nous prévoir pour les années à venir?

Vous l’avais-je dit au début?… Si le passé est garant de l’avenir,… je vous laisse prédire la suite.

Avant de terminer, j’aimerais encore dire…

Lors de l’étude article par article en commission parlementaire, Françoise David a proposé un amendement: biffer à l’article 1 les objectifs du projet de loi 10, parce que ce n’est pas vrai que le PL 10 va simplifier l’accès aux services, améliorer la qualité et accroître l’efficience. 

Bien qu’incapable d’identifier un article qui y concourrait, qui en parlait ou expliquait comment cela allait se faire, bref, qui démontrait l’adéquation entre les objectifs de son PL et les moyens qu’il contient, le ministre s’est dit convaincu que « l’ensemble de sa réforme » allait atteindre ces objectifs et, par conséquent, l’amendement fut rejeté. 

Le ministre l’avait pourtant dit lui-même très clairement lors de notre passage en commission parlementaire : 

« J’l’ai dit cent fois en trois semaines : le projet de loi 10, en termes d’accès à la première ligne, c’est pas ça qui va régler ça, c’est autre chose. Le «autre chose» est en train de se discuter et on verra bien où c’est que ça va finir. J’l’ai dit, là. J’peux pas être plus clair que ça : ne reprochez pas au projet de loi 10 de ne pas s’adresser à l’accès alors qu’il n’est pas fait, le projet de loi, pour s’adresser à l’accès.”

Ça m’apparaît pourtant essentiel et fondamental : le ministre contredisait son propre projet de loi!  

Et en ce qui me concerne, ça ressemble drôlement à quelque chose…

D’ailleurs, sur le site du SPVM , on trouve cette définition :

« La fraude consiste à mener malhonnêtement le public ou une personne à encourir une perte financière, à se départir d’un bien ou à fournir un service à la suite d’une tromperie, d’un mensonge, d’un abus de confiance ou de tout autre moyen semblable.

Comment différencier un VOL d’une FRAUDE?

La présence ou l’absence de consentement demeure le critère permettant de distinguer le VOL de la FRAUDE. Ainsi,

– il y aura VOL lorsqu’une personne s’empare d’un bien sans le consentement  de la victime.

– il y aura FRAUDE lorsqu’une personne s’approprie un bien, un service ou de l’argent avec le consentement de la victime, mais que ce consentement a été obtenu par tromperie ou ruse ou tout autre moyen malhonnête. »

Alors, selon vous, pourrait-on dire que…

… Le ministre mène malhonnêtement la population du Québec à encourir une perte financière, à se départir d’un bien (comme le réseau public de SSS pour le privatiser)?

… Que de par l’omnipotence qu’il se donne avec son PL, il s’approprie tous les services publics sociaux et de santé, avec le consentement de la victime (la population, l’Assemblée nationale), mais que ce consentement est obtenu par tromperie ou ruse ou tout autre moyen malhonnête (comme sa seule parole, son instinct, sa conviction personnelle,… et à l’encontre de tout ce qui se fait, se dit, s’écrit, s’étudie et s’enseigne partout dans le monde)?

D’après vous, pourrait-on porter une accusation?…

 

Merci de votre attention.

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