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Lettre ouverte de la Coalition solidarité santé

À : Monsieur François Legault, Premier ministre du Québec
Madame Danielle McCann, Ministre de la Santé et des Services sociaux
Madame Marguerite Blais, Ministre responsable des Aînés et des Proches aidants
Monsieur Lionel Carmant, Ministre délégué à la Santé et aux Service sociaux

La pandémie de COVID-19 qui frappe actuellement le monde entier nous rappelle toute l’importance d’avoir un système de santé et de services sociaux public, universel et accessible indépendamment de la capacité de payer de chacun.e. À cet égard, le Québec doit se féliciter d’avoir fait le choix collectif de la solidarité : si d’autres batailles restent encore à mener pour assurer un accès véritablement universel aux services (y compris pour les personnes sans statut), les mouvements syndicaux, populaires, féministes et communautaires peuvent être fiers d’avoir contribué à créer le système public québécois. Ce sont aussi eux qui l’ont fidèlement défendu contre tous les assauts qui, depuis sa création, n’ont cessé de se multiplier.

Malgré le travail acharné de ceux – et surtout de celles – qui le portent à bout de bras, ces assauts répétés ont affaibli notre réseau et provoqué des lacunes béantes dans notre capacité collective à répondre aux besoins, lacunes que la crise actuelle révèle cruellement : le sous-investissement chronique, les multiples réformes déstructurantes, les coupes drastiques dans la santé publique, la centralisation bureaucratique, l’élimination des lieux de pouvoir citoyen, la détérioration des conditions de travail, les méthodes de gestion autoritaires (nouvelle gestion publique, Lean), les pénuries de personnel, l’appauvrissement de la première ligne (notamment en services à domicile) et la privatisation grandissante des services ont contribué au désastre humanitaire qui se joue présentement sous nos yeux, en particulier au sein des résidences pour personnes âgées.

Or, ces lacunes ne sont pas des fatalités mais bien le résultat de choix politiques qu’il est possible de renverser pour mieux faire face aux épreuves futures. S’il est important de se préparer à de nouvelles pandémies, le système sociosanitaire doit aussi être en mesure d’affronter les conséquences des bouleversements climatiques qui, selon l’Organisation mondiale de la santé, constituent la plus grande menace à la santé humaine au XXIe siècle. La vague de chaleur récente, qui redouble la souffrance vécue dans les lieux d’hébergement, nous rappelle d’ailleurs que ces conséquences sont déjà bien présentes.

Au sortir de la crise sanitaire actuelle, il sera donc essentiel de faire un bilan des ratés qu’a connus le réseau et d’apporter les correctifs nécessaires, qui ne pourront se limiter à quelques changements superficiels ou isolés. Au cours des prochains mois, il nous faudra imaginer un nouvel horizon pour notre système de santé et de services sociaux. C’est dans cette optique que la Coalition solidarité santé se joint aux organisations signataires de cette lettre pour réclamer la tenue, dès que possible, d’états généraux en santé et services sociaux.

Un des résultats des réformes des dernières décennies a été de faire taire la voix des citoyen.ne.s ainsi que celle des travailleuses et des travailleurs du réseau en les écartant des lieux décisionnels, en abolissant les instances démocratiques où ils et elles siégeaient et en misant sur une gestion centralisée, bureaucratique et autoritaire, déconnectée du terrain. La pandémie a montré à quel point les conséquences de cette avenue peuvent être tragiques. Ces voix, qui n’ont pas été écoutées depuis des années, devront être au cœur du processus de reconstruction du réseau, qu’il est maintenant essentiel d’amorcer. Des états généraux sont une étape incontournable pour que cette reconstruction soit pensée et réalisée démocratiquement, avec la participation active des principales et des principaux concerné.e.s. Nous avons affronté une crise sanitaire majeure avec un réseau qui était lui-même en crise. Si ce drame nous a appris une chose, c’est que l’après-COVID en santé et services sociaux ne doit pas être décidé derrière des portes closes.

Autres organisations signataires :

Organisations nationales :

  • François Allard, Ex Aequo
  • Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN)
  • Serge Séguin, directeur général de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR)
  • Alex Magdzinski, Association québécoise des infirmières et infirmiers (AQII)
  • Mathieu Francoeur, coordonnateur du Mouvement des personnes handicapées pour l’accès aux services (Mouvement PHAS)
  • Marjolaine Goudreau, présidente du Regroupement Échange Concertation des Intervenantes et des Formatrices en Social (RÉCIFS)
  • Delphine Ragon, coordonnatrice de Parents pour la déficience intellectuelle (PARDI)
  • Andrée Poirier, présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS)
  • Marie-Andrée Gauthier, coordonnatrice générale du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec
  • Mercédez Roberge, coordonnatrice de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB)
  • Gaëlle Fedida, L’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale
  • Judith Rouan, directrice du Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine
  • Sophie Mederi, responsable de projets et des communications au Regroupement Naissances Respectées (Regroupement Naissance Renaissance)
  • Yasmina Chouakri, présidente du Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec
  • Marie-Hélène Senay, coordonnatrice communication et analyse de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
  • Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ)
  • Marianne Labrecque, co-coordonnatrice de la Fédération du Québec pour le planning des naissances
  • Jérôme Di Giovanni, directeur général de l’Alliance des communautés culturelles pour l’égalité dans la santé et les services sociaux (ACCÉSSS)
  • Jérôme Di Giovanni, président de l’Alliance des patients pour la santé
  • Valérie Lépine, coordonnatrice du Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec
  • Hugo Valiquette, président de la Coalition des Tables régionales d’organismes communautaires (CTROC)
  • France Latreille, directrice de l’Union des consommateurs
  • Kim Paradis, directrice générale du Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)
  • Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF)
  • Marcel Faulkner, responsable du comité de coordination de SOS DI Services Publics
  • Julie Antoine, directrice générale du Réseau des lesbiennes du Québec
  • Diane Messier, présidente de L’R des centres de femmes du Québec
  • Janie Bergeron, coordonnatrice du Regroupement des organismes ESPACE du Québec (ROEQ)
  • Doris Provencher, directrice générale de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ)
  • Marianne Dupéré, coordonnatrice de Sans oublier le sourire (SOS)
  • Alain Ambeault, directeur général de la Conférence religieuse canadienne
  • François Geoffroy, porte-parole de La Planète s’invite au parlement
  • Alain Tremblay, directeur général de l’Association québécoise de la tourette (AQST)
  • Michel Jetté, cofondateur de Group Mobilisation/Chantiers de la Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique (GMob/C-DUC )
  • Lena Zotova, présidente du conseil exécutif de La Planète s’invite en santé
  • Rose-Mary Thonney, présidente de l’Association québécoise des retraité.e.s des secteurs public et parapublic (AQRP)
  • Simon Labrecque, Adjoint au secrétaire général du Conseil Église et Société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec
  • Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
  • Claire Montour, présidente de la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ)
  • Jessica Bourque, deuxième vice-présidente du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)
  • Alain Marois, vice-président à la vie politique de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE)
  • Anik Larose, directrice générale de la Société québécoise de la déficience intellectuelle
  • Nancy Bédard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
  • Ginette Langlois, présidente de la Fédération des professionnèles (FP-CSN)
  • Isabelle Leblanc, présidente de Médecins québécois pour le régime public (MQRP)
  • Caroline Toupin, coordonnatrice du Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA)
  • Mostafa Henaway, Centre des travailleuses et des travailleurs immigrants
  • Caroline Quesnel, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN)
  • Mélanie Perroux, Regroupement des aidants naturels du Québec

Organisations régionales/locales:

  • Dominique Daigneault, présidente du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN)
  • Hélène Auclair, Action santé Outaouais
  • Nathalie Déziel, directrice du Regroupement des aidantes et aidants naturels de Montréal (RAANM)
  • Ghislaine Larivière, présidente du conseil d’administration de la Table de concertation des aînés et des retraités de la Mauricie
  • Jiri Snitil, directeur général du Groupe des Aidants du Sud-Ouest
  • Aurélie Broussouloux, directrice générale, Réseau Alternatif et Communautaire des Organismes en santé mentale de l’île de Montréal (RACOR en santé mentale)
  • Mathilde Houisse, chargée de projets spéciaux et de l’organisation communautaire à Parrainage Civique Montréal
  • Joanne Blais, directrice de la Table de concertation du mouvement des femmes de la Mauricie (TCMFM)
  • Pascale Dupuis, directrice générale du Centre de santé des femmes de la Mauricie
  • Lucie Mayer, Association T’es où?
  • Denise Buist, coordonnatrice de l’accueil et des cuisines collectives du Centre des femmes de Shawinigan
  • Marie-Eve Suprenant, coordonnatrice de la Table de concertation de Laval en condition féminine
  • Jean Roy, président de l’Association des professeurs réguliers retraités de l’Université du Québec à Trois-Rivières
  • André Bélisle, président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)
  • Paul Casavant, président de TerraVie
  • Ghislain Goulet, Action Autonomie
  • Brigitte Michaud, coordonnatrice de la Table de concertation des groupes de femmes du Bas Saint-Laurent
  • Hélène Lepage, ESPACE Côte-Nord
  • Gabrielle Neveu, ESPACE Gaspésie-les-îles
  • Marie-Andrée Painchaud, coordonnatrice du Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM)
  • Marc Benoît, coordonnateur du Regroupement des organismes d’éducation populaire autonome de la Mauricie (ROÉPAM)
  • Julien Beaulieu, coordonnateur général de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées – Pointe-de-l’île (AQDR-PDÎ)
  • Diane Barrette, Les Cuisines collectives de Francheville
  • Lucie Massé, porte-parole d’Action Environnement Basses-Laurentides
  • Karine Verreault, Regroupement des organismes communautaires de la région 03 (ROC 03)
  • Émilie Saint-Pierre, coordonnatrice de la Table régionale des organismes communautaires du Bas-Saint-Laurent (TROC du Bas-Saint-Laurent)
  • François Melançon, coordonnateur de l’Association des groupes d’éducation populaire autonome Centre-du-Québec (AGÉPA Centre-du-Québec)
  • Annie Tanguay, La Collective des femmes de Nicolet et région
  • Yannick Lapierre, directeur général de l’Association des personnes handicapées de l’Érable (APHÉ)
  • Diane Lefort, directrice générale du Centre d’entraide Contact
  • Nathalie Ayotte, directrice de la Table régionale des organismes communautaires du Nord-du-Québec (TROC-10)
  • Patrice Désilets, directeur général de la Maison Halte Soleil
  • Johanne Nasstrom, Table régionale des organismes communautaires de la Montérégie (TROC Montérégie)
  • Marie-Claude Goudreault, Maison des femmes des Bois-Francs
  • Daniel Cayley-Daoust, directeur général de la Table régionale des organismes communautaires autonomes de l’Outaouais (TROCAO)
  • Josée Binette, coordonnatrice de la Maison de jeunes La Traversée 12-18 ans
  • Louise Tardif, coordonnatrice de l’Association coopérative d’économie familiale des Bois-Francs (ACEF Bois-Francs)
  • Nancy Boudrias, présidente de l’Association de solidarité et d’entraide communautaire de la Vallée-de-la-Gatineau (ASEC)
  • Marc Zaffran, Md, écrivain

Analyse, chronique et lettre ouverte Changements climatiques Démocratie Lettres Privatisation Lean Réforme Barrette

Lettre ouverte de la Coalition solidarité santé

Depuis sa création en 1991, la Coalition solidarité santé a défendu sans relâche le système public de santé et de services sociaux du Québec et le droit à la santé pour toutes et tous. Nous tenons aujourd’hui à souligner le travail exceptionnel accompli dans des conditions extrêmement difficiles par les travailleuses et les travailleurs du réseau. Nous souhaitons également rappeler toute l’importance d’avoir un système socio-sanitaire public et universel. Alors que le monde entier est frappé de plein fouet par la pandémie de COVID-19, les Québécoises et les Québécois peuvent compter, grâce aux luttes de celles et ceux qui nous ont précédé.e.s, sur des services de santé et des services sociaux gratuits, accessibles indépendamment de leur capacité de payer.

La catastrophe humaine et sanitaire à laquelle nous sommes confronté.e.s est porteuse de beaucoup de souffrance, d’anxiété et de stress. En plus des vies perdues et des deuils qui frappent plusieurs d’entre nous, de nombreuses personnes vivent une détérioration rapide de leur situation économique. En effet, les mesures de confinement, essentielles pour préserver la capacité du réseau à face à la crise et minimiser le nombre de décès, sont aussi génératrices de difficultés financières importantes, en particulier pour les personnes déjà précarisées.

Dans ce contexte, il aurait été désastreux que notre principal rempart face à la crise soit un système de santé privé dont les buts principaux sont la rentabilité et le profit. Il aurait été ignoble d’ajouter à la détresse causée par la pandémie en faisant porter aux individus le poids insoutenable des frais médicaux associés au diagnostic et au traitement de la COVID-19. Comme le montre l’exemple malheureux de notre voisin du sud, ces frais peuvent atteindre des dizaines de milliers de dollars pour une seule personne!

Le Québec doit donc se féliciter d’avoir fait le choix collectif de la solidarité et de s’être doté au début des années 1970 d’un système public et universel de santé et de services sociaux. Et les mouvements syndicaux, populaires, féministes et communautaires peuvent être fiers d’avoir contribué à le créer et de l’avoir fidèlement défendu contre tous les assauts qui, depuis sa création mais plus encore dans les deux dernières décennies, n’ont cessé de se multiplier.

Faire mieux pour l’avenir : vers une déprivatisation et une démocratisation des services de santé et des services sociaux

Si la crise actuelle nous rappelle plus que jamais l’importance d’avoir un système public de santé et de services sociaux fort, accessible, universel et gratuit, elle révèle aussi cruellement les lacunes béantes qui affaiblissent notre réseau : le sous-investissement chronique, les multiples réformes déstructurantes, les coupes drastiques dans la santé publique, la centralisation bureaucratique, l’élimination des lieux de pouvoir citoyen, la détérioration des conditions de travail, les méthodes de gestion autoritaires (nouvelle gestion publique, Lean), les pénuries de personnel, l’appauvrissement de la première ligne (notamment en services à domicile) et la privatisation grandissante des services ont contribué au désastre humanitaire qui se joue présentement sous nos yeux, en particulier au sein des résidences pour personnes âgées.

Ces lacunes ne sont pas des fatalités mais bien le résultat de choix politiques qu’il est possible de renverser. Il nous faut imaginer un nouvel horizon pour notre système de santé et de services sociaux. Pour y parvenir, il faut commencer dès maintenant à réfléchir aux mesures qu’il sera essentiel de mettre en œuvre au sortir de cette crise sanitaire sans précédent. Nous proposons les mesures suivantes comme contribution à la réflexion collective : 1) un réinvestissement massif immédiat; 2) une déprivatisation complète des services de santé et des services sociaux; 3) un recentrement du réseau sur les services de premières ligne et la prévention (ce qui passe notamment par une revalorisation des services sociaux); 4) une décentralisation et une démocratisation de la gestion des établissements qui permettra de les ancrer dans leur communauté et de redonner aux citoyen.ne.s, aux usagères.ers et aux travailleuses.eurs du réseau un pouvoir sur leurs services et leurs conditions de travail.

La Coalition solidarité santé lance donc aujourd’hui un appel à la (re)construction d’un système socio-sanitaire public à la hauteur des valeurs de solidarité et de justice sociale historiquement portées par les mouvements sociaux du Québec.

Analyse, chronique et lettre ouverte Démocratie Lettres Privatisation Lean Réforme Barrette

Ce modèle privilégie les prises de décision par des acteurs économiques transnationaux et non plus par des décideurs élus de façon démocratique

Pierre-Yves Serinet – Coordonnateur du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) *

Le libre-échange fait désormais partie du programme public. Négociée dans le plus pur secret depuis cinq ans par le gouvernement Harper, l’entente de principe d’un Partenariat transpacifique (PTP), annoncée le 5 octobre en pleine campagne électorale, a fait réagir tous les chefs de parti. Celui qui allait être élu, Justin Trudeau, a pour sa part promis « un débat public approfondi et ouvert, [de] sorte que les Canadiennes et les Canadiens soient consultés », un engagement que devra concrétiser Chrystia Freeland, la nouvelle ministre du Commerce international. Toutefois, il est essentiel que les consultations soient publiques et structurées, qu’elles se tiennent partout au pays et qu’elles visent aussi l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, négocié dans les mêmes conditions antidémocratiques. Le gouvernement doit s’engager à traiter sans partisanerie et avec honnêteté les recommandations émanant de la consultation, et accepter qu’elle puisse exiger la révision et la renégociation des accords. La population mérite mieux qu’une consultation de façade.

La souveraineté des États menacée

L’AECG et le PTP appartiennent à une nouvelle génération d’accords de libre-échange (ALE) où il s’agit moins de favoriser les échanges commerciaux que d’ériger un nouveau système de règles qui cherchent essentiellement à restreindre la capacité des États à légiférer sur des questions d’intérêt public.

Le modèle du libre-échange favorise un glissement du pouvoir des décideurs élus démocratiquement vers les acteurs économiques transnationaux. Les ALE imposent que l’État se confine à intervenir uniquement pour favoriser le laisser-faire tout en lui interdisant d’orienter l’activité économique et ses politiques sociales pour corriger les injustices du marché.

Coopérez ou on vous poursuit !

L’effritement de la souveraineté se décline de multiples façons. Par exemple, l’AECG et le PTP incluent le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), qui permet aux entreprises étrangères de poursuivre les États lorsqu’ils prennent des décisions susceptibles d’avoir un impact sur leurs « attentes légitimes » de réaliser des profits.

Élargissant la portée de ce mécanisme, déjà présent dans l’ALENA, l’interprétation des « droits » ainsi accordés aux investisseurs étrangers touche un éventail de plus en plus large de politiques publiques : on conteste la hausse du salaire minimum (Veolia contre l’Égypte), des protections environnementales minimales (Bilcon contre le Canada), le retrait du nucléaire (Vattenfall contre l’Allemagne), des mesures de santé publique (Philip Morris Tobacco contre l’Uruguay et l’Australie), et même des décisions juridiques (la pharmaceutique Eli Lilly contre le Canada). Plus près de nous, au Québec, on pourrait être condamné à verser 250 millions de dollars à Lone Pine Resources, qui conteste le moratoire sur l’exploration des gaz de schiste dans le fleuve Saint-Laurent, une décision qui repose pourtant sur un principe essentiel de précaution en matière d’environnement.

Les ALE accordent des privilèges et droits démesurés aux investisseurs étrangers, mais ne contiennent aucun mécanisme qui forcerait les transnationales à rendre des comptes lorsque leurs activités détruisent l’environnement ou violent les droits de la personne. Pour nous, le mécanisme de RDIE ne se justifie ni d’un point de vue politique ni d’un point de vue économique et doit tout simplement être retiré des accords.

Austérité, services publics et souveraineté alimentaire

Les textes de l’AECG et du PTP confirment la libéralisation des services publics à tous les niveaux décisionnels. Ils ne sont protégés que s’ils ne sont ni offerts en concurrence avec d’autres fournisseurs ni sur une base commerciale. Or, au Québec, le ministre Barrette a maintes fois soutenu son désir d’instaurer plus de concurrence dans le système de santé.

Au-delà de certains seuils, les gouvernements, les municipalités et les sociétés d’État, comme Hydro-Québec, seront forcés d’ouvrir leurs marchés publics en soumettant leurs appels d’offres à la concurrence étrangère. Il ne sera plus possible de se servir des achats publics pour stimuler le développement local, créer des emplois de qualité, consolider nos expertises, innover sur le plan environnemental.

Par ailleurs, les récents accords vont non seulement toucher les fermes familiales et l’agriculture de proximité, mais également porter un dur coup à la sécurité alimentaire de nos pays, déjà victimes des changements climatiques, comme le soulignent à juste titre le Mouvement agricole Nouminren au Japon et la Ligue paysanne coréenne (KPL) à propos du PTP.

La situation est d’autant plus périlleuse que les politiques d’austérité et le libre-échange agissent de façon combinée pour transformer le rôle de l’État. L’AECG et le PTP pourront rendre définitives d’éventuelles privatisations, puisqu’un « effet de cliquet » rend impossible de ramener des secteurs privatisés vers le secteur public, sous peine de nouvelles poursuites, même si ces privatisations s’avéraient inefficaces ou contraires au bien commun. Pour nous, tout accord de libre-échange qui paralyse la vie démocratique et alimente la spirale de l’austérité se doit d’être rejeté.

Repenser le paradigme économique à l’épreuve des faits

Alors que les nouveaux accords vont plus loin que l’ALENA, notamment par l’ouverture des services publics, il est ahurissant de constater qu’aucune évaluation probante n’ait été faite du « modèle » nord-américain et de ses impacts sur nos économies.

L’actuelle conférence sur le climat (COP21) à Paris nous offre l’occasion de mesurer les dangers de la poursuite d’un modèle économique qui non seulement a été un désastre pour le fragile équilibre écologique de la planète, mais qui va aussi accroître les inégalités sociales en servant principalement les intérêts des multinationales. Un changement de paradigme est urgent, mais surtout, dans l’horizon du possible.

 

* Ont aussi signé cette lettre: Michel Lambert, directeur général d’Alternatives, Carolle Dubé, présidente de l’APTS, Sandrine Louchart, AmiEs de la Terre de Québec, Claude Vaillancourt, président d’Attac-Québec, François Vaudreuil, président de la CSD, Louise Chabot, présidente de la CSQ, Denise Gagnon, présidente du CISO, Martine Chatelain, présidente de la Coalition Eau Secours !, Jacques Benoît, coordonnateur de la Coalition Solidarité Santé, Jacques Létourneau, président de la CSN, Suzanne Audette, 2e vice-présidente du CCMM-CSN, Régine Laurent, présidente de la FIQ, Daniel Boyer, président de la FTQ, François Saillant, coordonnateur du FRAPRU, Christian Nadeau, président de la Ligue des droits et libertés, Carolle Mathieu, présidente de L’R des centres de femmes du Québec, Lucie Martineau, présidente du SFPQ, Elisabeth Gibeau, Union des consommateurs, Benoît Girouard, président de l’Union paysanne.

 

 

 

Analyse, chronique et lettre ouverte Privatisation Lean

Un citoyen pauvre, un citoyen riche et un citoyen de la classe moyenne sont assis autour d’une table devant 12 biscuits. Le riche en prend 10 et dit au citoyen de classe moyenne :

« Attention! Le pauvre veut te voler un des deux biscuits que tu as payés avec tes taxes! »

(Repris de Facebook)

Le 7 avril dernier, le Québec a élu un nouveau gouvernement du Parti Libéral. La population de la province serait en droit de s’attendre à ce que ce gouvernement soit responsable de défendre l’héritage du grand Parti libéral qui est à l’origine de l’assurance-hospitalisation et de l’assurance maladie publiques au Québec il y a plus de 40 ans. À cette époque, où le PIB québécois représentait une mince fraction de celui d’aujourd’hui, le PLQ de Jean Lesage avait compris que les vraies affaires relevaient des programmes sociaux publics.

Pourtant, les québécoises et québécois risquent fort d’être déçu-e-s : trente jours plus tôt, lors du déclenchement des élections, Philippe Couillard avait affirmé se lancer dans la bataille pour les vraies affaires qu’il avait nommées « l’économie, l’emploi et le financement axé sur les patients». Parce que, a-t-il ensuite répété sur toutes les tribunes, il avait fait le tour de la province et des gens de partout lui avaient dit qu’il devait s’occuper des vraies affaires. Nous croyons possible que de la Gaspésie au Témiscamingue, de l’Estrie au Lac-St-Jean, et de Sept-Îles jusqu’en Outaouais, des citoyennes, des citoyens et des gens d’affaires lui aient parlé d’économie, d’emploi… Mais de « financement axé sur les patients »? Permettez-nous d’en douter. On peine à imaginer le travailleur d’usine, la mère de famille, le producteur agricole, la prof de CEGEP, le propriétaire d’une PME ou l’éducatrice de garderie accrocher M. Couillard sur son passage et lui dire : « M. Couillard, ça prend un financement axé sur les patients, pis ça presse, sinon, qu’est-ce qui va nous arriver, dans notre région? »…

Alors quels sont les véritables enjeux en santé et que nous réserve ce nouveau gouvernement dans les mois et années qui viennent?

Si le passé est garant de l’avenir…

Bien qu’il répète à qui mieux mieux qu’il n’est pas le gouvernement Charest dont il veut prendre ses distances, M. Couillard ne peut renier tout son passé. Alors rappelons-le, ce passé de Ministre de la Santé et des Services Sociaux de 2003 à 2008 :

• C’est sous son règne que les établissements du réseau de la Santé et des services sociaux (CLSC, CHSLD, CH) ont été fusionnés pour former les immenses CSSS. Ces nouveaux établissements ont été au cœur de la mise sur pied des réseaux locaux de services, sorte d’excroissances artificielles du réseau public. Ces réseaux locaux de services sont devenus des réseaux parallèles composés de services privés, d’économie sociale et de communautaire, pouvant concurrencer le secteur public dans l’accomplissement des soins et services. Les immenses CSSS ont utilisé les réseaux locaux de services pour réduire les soins et services que leurs propres composantes assumaient auparavant, et en transférer graduellement la prestation en sous-traitant des organismes privés, d’économie sociale et communautaires, rongeant de plus en plus les budgets publics.

• D’autres lois ont également été adoptées à la même époque pour s’arrimer avec les fusions d’établissements. Ainsi, en fusionnant les accréditations syndicales (loi 30), en modifiant le code du travail (loi 31), et un peu plus tard en ouvrant aux assurances privées la couverture de chirurgies d’un jour (loi 33), le gouvernement libéral a facilité la sous-traitance des services d’entretien, de buanderie, d’alimentation, de fournitures médicales, de services à domicile, de chirurgies, de personnel, etc., à des coûts plus élevés. Il est intéressant de noter que toutes ces lois (et bien d’autres) ont été adoptées sous le bâillon, malgré le fait que le gouvernement libéral était majoritaire. Cela nous permet d’apprécier l’importance que revêt la démocratie aux yeux du Parti libéral du Québec.

• Il importe de se remémorer qu’après cela, M. Couillard est parti travailler pour Persistence Capital Partners (PCP), une société qui affirme elle-même sur son site WEB se concentrer «exclusivement sur les occasions d’affaires qui ont un potentiel de forte croissance dans le domaine des services de santé ». En ouvrant au marché les chirurgies d’un jour, un potentiel de forte croissance, on peut croire que M. Couillard s’est du même coup ouvert toutes grandes les portes de PCP.

La Coalition solidarité santé a tenu une assemblée publique le 12 mars dernier pour faire le point sur 10 ans de fusions d’établissements. La conclusion? Force est de constater qu’on a utilisé les ressources du public pour développer les services privés en utilisant toujours plus de privé pour rendre les services publics. En dix ans, la sous-traitance, la privatisation, l’économie-socialisation, la communautarisation et les PPP ont pris place et sont mieux implantés partout dans notre système public de santé et de services sociaux.

Privé et sous-traitance

Certains ténors de la privatisation affirment que le privé s’occuperait mieux des gens que le public. En fait, nous croyons plutôt qu’il s’en occupe tant qu’il y a un profit à en tirer. Les exemples pleuvent dans tous les pays, y compris ici, où le développement du privé ne va jamais de pair avec l’amélioration de la santé dans une société, bien au contraire.

Rappelons d’abord que l’objectif poursuivi par le secteur public est d’offrir les meilleurs services au prix coûtant, alors que l’objectif du privé est de faire du profit et, la façon de le faire étant accessoire, ce qui rapporte le plus et plus rapidement est évidemment privilégié. C’est cette notion de profit qui distingue fondamentalement le privé du public, et qui va teinter tout le reste. Parce que pour pouvoir faire un profit, pour un prix donné, le privé va:

• diminuer la qualité ou la quantité de services rendus; ou

• diminuer les conditions salariales et de travail du personnel  rendant les services; ou alors

• il va hausser les coûts de ses services.

Mais plus généralement, il fera les trois!

Nous n’inventons rien. Sur les coûts plus élevés de la sous-traitance, l’exemple du CSSS de Gatineau démontre qu’en offrant 70% moins d’heures de travail à des employés d’agences privées, les économies brutes ont été d’environ 4 millions $, ce qui a fait dire à son DG qu’« en partant, 2$ dépensés en main-d’oeuvre indépendante coûtent 1$ en main-d’oeuvre régulière […] Mais surtout, on améliore la qualité de nos services. » (Le Droit, 30 avril 2014)

Alors que penser des 50 méga-cliniques privées promises en campagne par le PLQ, sinon qu’elles draineront encore plus de ressources publiques dans le privé? Vous vous souvenez peut-être, quand ils parlaient de ces méga-cliniques? Ils disaient que nous n’aurons qu’à sortir notre carte soleil pour recevoir « gratuitement » les services spécialisés. Et si un jour les finances publiques venaient à manquer : on nous proposera de changer notre carte soleil pour la carte de crédit?

Les privatiseurs rétorqueront que la concurrence vient changer la donne au niveau des coûts. À cela, nous répondons trois choses :

1. La concurrence n’a qu’un temps parce que l’objectif de tout privé est de tuer la concurrence pour établir son monopole, et ainsi contrôler le marché, les prix et augmenter ses profits.

2. S’il y a un domaine où la concurrence est à bannir, c’est bien la santé qui a besoin au plus haut point de collaboration et de coopération, et non de concurrence. La rivalité amène à un non partage d’informations qui nuit tôt ou tard aux soins, aux services et donc, à la santé des malades et de la population.

3. Comme société offrant des services publics de santé à notre population, notre intérêt est que les gens soient le moins malade, et quand ils le sont, de leur offrir les meilleurs soins pour qu’ils retrouvent rapidement la santé. Ainsi, ça nous coûte moins cher. Quand on est un privé qui fait du profit avec la maladie, a-t-on vraiment les mêmes intérêts?…

Un  mode de financement qui favorise la qualité, non le volume

Malgré tout cela, nos gouvernements ne cessent de faire plus de place au privé, tant dans l’accomplissement des services directs que dans la gestion du travail. Conséquemment, les contrôles, justifications, rapports, statistiques,  comptabilisations de toutes sortes sont de plus en plus nombreux et exigent de plus en plus de personnel administratif et de gestionnaires pour analyser toujours plus de données. On met en compétition des services et des producteurs de soins et services qui, pour être plus rentables, vont choisir ce qui rapporte le plus et le plus rapidement, délaissant ce qui rapporte le moins et qui prend plus de temps. Bien sûr, comme c’est le secteur public qui a le mandat de servir toute la population, c’est lui qui s’occupe des cas les plus lourds, qui coûtent le plus cher à soigner, pendant que le privé s’occupe de ceux qui rapportent le plus, contribuant ainsi à s’accaparer des argents les plus faciles pendant que le public en manque pour les cas difficiles.

Cette situation qui existe déjà, le financement axé sur les patients va l’accentuer, l’aggraver, au point où on retrouvera des personnes qui seront sur-soignées et d’autres qui seront sous-soignées. D’ailleurs, la phrase utilisée par les promoteurs de ce mode de financement « le patient ne sera plus vu comme une dépense mais comme un revenu » annonce le chemin. L’exemple du Royaume-Uni, qu’on nous a servi longtemps pour montrer à quel point ça fonctionnait bien, nous enseigne, au contraire, que le supposé remède de cheval qu’on veut administrer tue le cheval, comme le montre la lettre de l’Association des consultants du Service national de la santé au Royaume-Uni (NHSCA). À l’image de la bactérie mangeuse de chair, le financement axé sur les patients jumelé à l’utilisation du privé transforme ce dernier en « bactérie mangeuse de finances publiques », s’accaparant de toujours plus de budgets parce que n’assumant jamais sa part de risque pour la laisser au public qui, lui, hérite de toutes les responsabilités sans les moyens pour les assumer.

Les PPP

C’est également sous la gouverne de M. Couillard et du PLQ qu’est apparu au Québec le mode des Partenariats Publics-Privés (PPP), malgré les avertissements du Vérificateur général.

Plusieurs organisations, dont la Coalition solidarité santé, se sont inquiétées que la campagne électorale se déroule sans que la question des PPP ne soit jamais évoquée. Les projets en PPP du CHUM et CUSM coûteront au bas mot plus de 6 milliards de dollars, soit deux fois plus qu’annoncé au départ, au point où en 2012, un rapport de la firme Secor-KPGM estimait que les coûts de construction du CHUM explosaient de 127% et au CUSM de 78%.

Que le processus d’attribution de leurs contrats pose encore plusieurs questions auxquelles il n’y a toujours pas eu de réponse est très inquiétant pour des projets ayant un poids aussi considérable sur nos finances publiques.

Au moment où le nouveau gouvernement Couillard parle de graves décisions à prendre à propos de la capacité de payer de l’État, et que Messieurs Montmarquette et Godbout évoquent la vente, même partielle, des actifs Hydro-Québec et la SAQ comme solutions, il est pour le moins étonnant que ces messieurs ne se soient pas attardés aux sommes astronomiques qu’on va engloutir dans ces PPP, sans compter qu’on devra payer pendant 30 ans pour leur utilisation, ce qui nous vaudra assurément d’autres rapports alarmistes et d’autres compressions budgétaires.

On nous opposera qu’on doit respecter la signature des gouvernements précédents et qu’on ne peut mettre fin à ces contrats. Faux! Dans tout contrat, il y a des clauses de résiliation. D’ailleurs, l’État français a conclu qu’il valait mieux racheter le contrat en PPP du Centre Hospitalier Sud-Francilien (CHSF), ce qu’il a fait le 14 mars dernier. Les huissiers avaient relevé 8 000 malfaçons dans le bâtiment ouvert en 2012. Par ce rachat, l’État français estime qu’il va réaliser des économies entre 600 et 700 millions d’euros. Qu’en serait-il pour le gouvernement du Québec?

Après son élection, M. Couillard a déclaré que son gouvernement allait être transparent et qu’il n’y aurait aucune collusion, que les choses allaient être faites autrement. Tenant compte que plusieurs entreprises liées à ces PPP sont présentement devant les tribunaux pour fraude et corruption, cette transparence promise par M. Couillard s’appliquera-t-elle aussi aux PPP des CHU?

Les conditions de travail et salariales du personnel 

On est tous à même de constater que les médecins profitent d’un important rattrapage salarial par les temps qui courent, même s’il est probable, au moment d’écrire ces lignes, qu’une partie de leur augmentation soit étalée dans le temps. Malgré cela, on ne peut affirmer que les services s’améliorent suivant ce rattrapage. C’est qu’à la façon dont sont traitées les autres professions, on donne plutôt l’impression que leur contribution est accessoire dans les soins et services, alors que nous savons toutes et tous qu’elle est centrale parce que ce sont ces personnes qui les donnent, les soins.

La réorganisation du travail qui s’opère depuis quelques années dans le réseau public de santé et services sociaux, initiée par le successeur du ministre Couillard, le Dr Yves Bolduc, sous les vocables LEAN, Toyotisme ou Optimisation, est une folie qui est en train de conduire le personnel vers le burn-out, sinon vers la sortie du secteur public, voire à l’abandon de leurs professions. Le personnel du réseau public est bien formé et possède les compétences requises pour savoir quoi faire, comment et quand le faire. Nier son expertise, c’est se condamner à perdre de la qualité dans les soins et services à la population.

Toutes ces méthodes de gestion du travail et du personnel ne donnent pas, au final, le résultat promis. Même en entreprise d’où ces méthodes tirent leur origine (industrie de l’automobile), leur impact sur le personnel fut une aggravation du stress, des accidents de travail, des découragements et même des suicides. Pourtant, à l’autre bout du spectre, on voit aussi des entreprises (oui, oui, même privées!) améliorer les conditions de travail de leurs employé-e-s parce qu’elles ont compris que des employé-e-s plus heureux sont plus productifs, plus créatifs, plus fidèles.

User à la corde des travailleuses et des travailleurs, pour les remplacer quand ils et elles sont épuisé-e-s est une formule qui relève plus du XIXe siècle, avec le travail des enfants, que d’une société avancée et moderne.

Il faut inverser la vapeur et abandonner ces méthodes qui, au final, se révèlent non seulement inhumaines mais improductives. Dans moins d’un an, les conventions collectives du secteur public, dont celles du personnel de la santé et des services sociaux, viendront à échéance. Il est plus que temps que l’État prenne soin des personnes qui prennent soin de nous.

Des soins et services en toute sécurité

Nous voulons toutes et tous vivre le plus longtemps possible chez-nous et demeurer indépendants. Et tout le monde est d’accord pour que l’on soutienne l’autonomie des personnes : être autonome et capable d’accomplir soi-même les rôles qu’on entend assumer est un gage de vieillissement plus heureux pour soi-même et pour son milieu. Mais il y a une différence entre le soutien à l’autonomie qui contribue à l’épanouissement des personnes, et le maintien à domicile qui peut facilement se transformer en emprisonnement à faible coûts.

Lors de la commission parlementaire sur le livre blanc de l’assurance autonomie, la Coalition solidarité santé a dit dans son mémoire que l’objectif premier d’une assurance autonomie devait être de favoriser le maintien dans le milieu de vie et le soutien et l’amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes d’agir dans leur milieu et d’accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie, quels que soient leur âge et leurs limitations fonctionnelles (physiques, mentales, etc.). De plus, il fallait que la sécurité physique et psychologique des personnes soit une valeur traversant toutes les composantes des services de soutien à l’autonomie, tant pour celles qui reçoivent les soins et services que pour celles qui les donnent et celles qui les aident.

Le PLQ, qui était représenté à cette commission par le Dr Yves Bolduc, affirmait qu’il n’était pas besoin d’une assurance autonomie ni d’une caisse autonomie pour réaliser tous les soins et services.

Pour la Coalition, ces éléments étaient accessoires. Mais ce qui était et demeure central, c’est que les soins à la personne, que l’on appelle soutien aux Activités de la vie quotidienne (AVQ) relèvent de la responsabilité des services publics et soient réservés au personnel formé et qualifié des équipes d’intervention multi ou interdisciplinaire des CSSS: auxiliaires familiales et sociales (ASSS), infirmières auxiliaires ou préposé-e-s aux bénéficiaires. Cela signifie également qu’il faut rapatrier dans le secteur public ces services là où ils sont assumés par le privé, économie sociale incluse.

C’est à la fois une question de sécurité, de continuité, de santé et de contrôle des coûts.

Les meilleurs médicaments au meilleur prix

Grâce au régime hybride public-privé et à des lois accommodantes pour les sociétés pharmaceutiques, les Québécois paient 38% de plus que la moyenne des pays de l’OCDE pour leurs médicaments.

Une étude du chercheur Marc-André Gagnon, en collaboration avec Guillaume Hébert, publiée le 13 septembre 2010, montrait à quel point les politiques et lois canadiennes en lien avec l’achat de médicaments dilapidaient les fonds publics. Ils proposaient quatre scénarios plus responsables au niveau des finances publiques fédérales, et chiffraient pour chacun les économies pouvant être réalisées : de l’un à l’autre, nous pouvions épargner de 3 G$ à 10 G$.

L’Union des consommateurs mène depuis près de quatre ans une campagne pour un régime d’assurance médicaments entièrement public. La Coalition solidarité a appuyé cette campagne en décembre 2011.

En juin 2012, Québec Solidaire (QS) déposait à l’Assemblée nationale un Projet de loi instituant Pharma-Québec, avec la mission « d’assurer l’approvisionnement en médicaments au plus bas coût possible pour la population et l’ensemble des établissements de santé du Québec et de fournir un accès équitable et raisonnable aux médicaments ». Ni le gouvernement libéral de l’époque, pas plus que celui du PQ qui l’a remplacé, n’ont daigné appeler ce projet de loi pour qu’il soit étudié en commission parlementaire.

Le seul geste posé par le gouvernement du Québec l’a été dans le budget Marceau de novembre 2012 en abolissant la règle des 15 ans qui obligeait le gouvernement à rembourser pendant 15 ans le prix (plus élevé) d’un médicament d’origine, même si une version générique (et moins chère) était mise en marché. Mais cette mesure risque d’être de courte durée parce que l’Accord de libre-échange avec l’Europe comportera assurément une nouvelle règle du genre sur les brevets pharmaceutiques.

Lors de la campagne électorale, QS a chiffré les économies à réaliser par l’instauration de Pharma-Québec à 2,3 G$. On ne peut que s’étonner qu’une telle possibilité n’ait même pas fait le sujet d’un paragraphe dans le rapport Godbout-Montmarquette. Il est vrai que Claude Montmarquette présidait le comité devant étudier, en 2001, la pertinence et la faisabilité d’un régime universel public d’assurance médicaments au Québec, mais il a décidé d’élargir son mandat pour mieux en pervertir le sens et les recommandations, concluant ainsi aux avantages du maintien d’un régime hybride.

Soutenir le communautaire

Depuis le début des années ‘90, au Québec, le gouvernement n’a cessé de se délester de ses obligations et responsabilités. L’une des solutions qu’il a trouvée a été de confier au communautaire, à moindre coût, des services ou responsabilités qui étaient ou qui auraient dû être assumées par le secteur public.

Sur presque toutes les problématiques (la faim, la délinquance, l’itinérance, la jeunesse, les services à domicile, le sida, la santé mentale, les loisirs, etc.), le gouvernement finance divers groupes. Ce financement étant inégal d’un organisme à l’autre et d’une région à l’autre, le résultat est que malgré tous les sacrifices des travailleuses et travailleurs ainsi que des bénévoles qui se dévouent corps et âmes pour leurs membres ou leur communauté, les activités et services sont inégaux en quantité, en qualité ou dans les conditions offertes au personnel qui y travaille.  Pourtant, leur implication et leur courage mérite mieux que ça!

Malgré des gains réalisés dans les dernières années, les programmes de financement auxquels ils ont accès sont de plus en plus ciblés, les obligeant à tordre toujours plus leur mission et leurs activités pour obtenir ces argents malgré tout insuffisants.  Par une reddition de compte et par des contrôles excessifs, par un financement conditionnel, avec peu de  reconnaissance ou respect de la souveraineté des assemblées générales, le gouvernement du Québec tente depuis des années d’imposer aux milliers d’organismes soutenus des façons de faire qui ne sont pas les leurs.

Cela doit cesser. L’État doit soutenir les 3 000 groupes communautaires oeuvrant en santé et services sociaux, et rehausser le financement de ces organismes qui appartiennent aux communautés qui les ont créés, et qui accomplissent un travail extraordinaire dans toutes les régions du Québec.

Les conditions de vie, déterminants de la santé

Il n’y a pas de secret ni de grande découverte: les conditions de vie déterminent les conditions de santé. Elles sont directement et principalement responsables de l’état de santé des individus et des populations : logement, alimentation, éducation, etc.  C’est pourquoi on les appelle les déterminants de la santé.

Les services sociaux viennent soutenir de meilleures conditions de vie et ont fait leur preuve quant à leur efficacité.  Pourtant, nous évaluons que les services sociaux sont en net recul au sein du Ministère de la Santé et des Services sociaux. Nous croyons que ce recul, et donc le sous-développement des services sociaux, explique en partie l’explosion des coûts des services de santé.

Mais plus encore, en ce siècle où les moyens de productions, d’exploitation et d’utilisation des richesses atteignent des sommets inégalés dans l’histoire de l’humanité, l’environnement, qui contient toutes nos conditions de vie sur Terre, est d’autant plus menacé. La détérioration accélérée que nous pratiquons sans égard à sa régénération nous conduira à notre perte à toutes et tous si nous n’y faisons rien. Même si certains pensent s’en tirer, on ne parle plus de développement durable mais de durabilité de l’humanité!

Le rapport déposé récemment par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a précisé l’ampleur des problèmes qui nous attendent, et réduit le temps qui nous en sépare, au point où même l’administration Obama s’est vue obligée de sonner l’alarme.

Cette course vers l’avant dans l’exploitation et le gaspillage, elle se fait sous prétexte qu’il faut créer plus de richesse. Or, de la richesse, il y en a déjà beaucoup mais elle est très mal répartie. À mesure qu’on exploite toujours plus les richesses de notre monde, les inégalités ne s’amenuisent pas, elles s’aggravent. Et le Québec, malgré ses particularités, ne fait pas exception.

Comme société, aurons-nous le courage et le temps d’agir pour notre bien commun, et notre survie à toutes et tous ?

Un nouveau ministre 

Le 23 avril, un nouveau ministre de la Santé et des Services Sociaux, le Dr Gaétan Barrette, est entré en fonction. La Coalition solidarité santé a émis un communiqué pour saluer son arrivée mais surtout pour lui résumer ainsi ces principaux enjeux auxquels lui et son gouvernement doivent s’attaquer:

• l’amélioration des conditions de vie de la majorité de la population par le partage de la richesse déjà existante et la réduction des inégalités, dans un souci de contrer la catastrophe environnementale qui nous guette et qu’on ne doit pas léguer à nos enfants;

• l’amélioration de l’accès à des soins et services sociaux et de santé par la réduction de la place du privé et le renforcement et le développement du système public; le réseau public est le meilleur rapport qualité/prix que l’on puisse obtenir parce qu’il est plus rentable, plus efficace et efficient que ne le sera jamais le privé;

• un mode de financement des soins et services qui favorise la collaboration et la coopération du personnel pour une plus grande qualité, et non la compétition et la concurrence pour un plus gros volume;

• le respect et la reconnaissance, y compris financière, des compétences des divers personnels qui se dévouent au quotidien au service de la population;

• des services de soutien à l’autonomie guidés par le principe de précaution pour nous assurer de n’échapper personne, et que tous les gens concernés soient en sécurité, en misant sur un projet de société où on prend le temps de soigner et de soutenir dignement les membres de notre communauté qui en ont besoin;

• l’arrêt des contrats en PPP où le secret des contrats relève presque de la sécurité nationale parce que l’intérêt financier et légal public passe toujours après celui du privé;

• l’établissement d’une assurance médicament universellement publique et d’une politique du médicament nous permettant de mieux gérer les stocks, nous protégeant des pénuries des dernières années, tout en économisant des milliards;

• le soutien et le rehaussement du financement des organismes communautaires qui travaillent avec leurs communautés pour se prendre en main, s’organiser démocratiquement, changer et améliorer leurs conditions de vie.

Nous avons également voulu rappeler deux choses au Dr Barrette.

Tout d’abord, qu’à l’instar du PLQ d’il y a quarante ans, pour la Coalition solidarité santé, les vraies affaires ne sont pas celles du monde des affaires, ce sont celles du mieux-vivre ensemble. Ce mieux-vivre implique une réduction importante des inégalités, et une contribution de toutes et tous au bien commun en fonction de la capacité de chacune et chacun, individus et sociétés. Faut-il vraiment le rappeler : le Québec est une société parmi les plus riches au monde, une société qui a plus de moyens que bien d’autres.

Pourtant, toutes les annonces qu’on nous fait depuis l’élection, à commencer par le rapport Godbout-Montmarquette, visent à nous faire gober que nous vivons au-dessus de nos moyens, qu’on ne peut taxer d’avantage et que, par conséquent, nous devons ajuster nos services publics à notre capacité de payer… sans jamais définir ce qu’est et qui a cette fameuse capacité de payer! On nous matraque plutôt avec l’image du déficit structurel en prenant bien soin de ne pas mentionner des baisses d’impôt qui ont causé ce même déficit structurel. L’objectif à peine voilé du gouvernement est de poursuivre la privatisation de nos services publics en réduisant la taille du secteur public qui produit ces services. En santé et services sociaux, ça se traduira probablement par une  désassurance des soins et services, qu’on nommera « révision du panier de services assurés ». On fera comme on l’a déjà fait avec certaines chirurgies d’un jour : on permettra aux assurances privées de couvrir des soins et services, et ainsi on augmentera la part des individus dans le financement de la santé au profit d’une diminution de la part des sociétés. Au final, les dépenses en santé ne diminueront pas, mais leur financement sera plus individualisé, avec a) une diminution de l’accessibilité parce que la majorité de la population ne pourra payer plus pour les soins et services, ni plus pour des assurances; et  b) une efficacité et une qualité à la baisse, parce que la recherche du profit sera priorisée par ces nouveaux prestataires au détriment de la santé de la population.

C’est dans ce cadre que la Coalition a aussi voulu rappeler au Dr Barrette qu’en 2010, à la tête de la FMSQ, il avait publié dans les médias une liste d’alternatives budgétaires et fiscales ressemblant à celle de la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics permettant au gouvernement d’aller chercher l’argent nécessaire pour financer la réalisation publique de nos services.

Au moment où son gouvernement s’apprête à rédiger un nouveau budget et parle de couper 1 milliard dans le réseau public de santé et services sociaux, nous souhaitions et souhaitons toujours qu’il s’en souvienne.

Et les luttes, alors?

Il est évident que tous ces enjeux ne pourront trouver leur juste solution sans qu’un véritable rapport de force ne s’établisse en faveur de notre bien commun.

Pour le moment, nous n’avons que des déclarations incendiaires et générales en provenance du gouvernement mais le premier budget et ses crédits marqueront le pas, et la première année de gouvernance, avec l’annonce d’une commission sur la fiscalité, la révision de tous les programmes et l’amorce de la négociation du secteur public établiront l’étendue du champ de bataille.

C’est pourquoi nous devons dès maintenant nous préparer. Soyons humbles, recommençons à la base : parlons, informons, discutons, expliquons, démontrons et démontons le discours d’en face, pour construire notre camp.

Plus que jamais, nous avons besoin de serrer les rangs, de nous unir, de nous parler, de nous comprendre, de partager nos analyses et nos informations pour faire apparaître les causes communes à nos problématiques.

Nous n’avons pas besoin de division, nous avons besoin d’unité. Le respect de la diversité des tactiques ne pourra exister que s’il se fait dans les deux sens : un rapport de force ne se construit pas que dans la rue, mais aussi dans la rue.

Il est plus que temps de battre en brèche l’individualisme.

Il est grand temps de faire l’éloge de la solidarité!

Jacques Benoit

Coordonnateur de la Coalition solidarité santé

9 mai 2014.

(Publié dans “La santé malade du capitalisme“, Nouveaux cahiers du socialisme, no 12, 2014.)

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